Scie

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Andreï Roublev, plan 207. La scie vibre en sifflant à côté du cou du jeune russe tué par le prince.


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Titres des films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)

Autres titres de films

Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Andreï Roublev (Voir détail : Andreï Rublyov) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Konchalovsky A.
1969 URSS 215
Nostalghia (Voir détail : Nostalghia) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Guerra T.
1983 URSS
Italie
130


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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

La figure de la scie sifflante dans Andreï Roublev d’Andreï Tarkovski

Intérieur de Vladimir :

Plan 205-22-7 : [1] 1h 37' 32" : Un jeune homme est poursuivi par le prince à cheval, ce dernier l'abat avec son épée, sans lui laisser la moindre chance de résister.

Plan 206-23-8 : 1h 37' 53" : Le jeune homme tombe près d'un tronc d'arbre abattu, le cou inondé de sang, la tête qui repose sur le tronc d'arbre comme sur un coussin mortuaire.

Plan 207-24-9 : 1h 37' 59" : Gros plan sur une longue scie de bûcheron, à gauche de la tête du jeune homme, qui vibre dans l'incertitude de son équilibre, accompagnée d'un sifflement aigu et strident. (Cf. Photogramme – Scie 1.) Andreï Tarkovski, Andreï Roublev. Photogramme Scie 1. Plan 207. Photogramme Scie 1 : Andreï Roublev Plan 207. La scie vibre en sifflant à côté du cou du jeune russe tué par le prince.

L'image nous interpelle sur plusieurs registres. Nous distinguons plusieurs directions dans lesquelles s'engagent les métamorphoses de la scie. Tout d'abord la scie est un instrument destiné exclusivement à couper du bois. Elle est munie de deux poignées de part et d'autre et d'une longue lame d'acier à pointes aiguës. Elle ne peut s'utiliser qu'avec deux personnes. En occurrence et par métamorphoses, les deux personnes qui l'utilisent sont les deux chefs d'armées. Si les chefs sont les poignées, les dents de la scie deviennent les soldats. D'ailleurs, rien que par le profil de la lame, nous avons une suggestion formelle de la figure de l'hésitation ; c'est, naturellement, quand la scie est au repos. En revanche, la scie en activité, devient la férocité d'une détermination [1] constante, comme c'est le cas dans le plan 207. Ainsi, petit à petit, ce gros plan de la scie sifflante, devient comme une synthèse générale du début de l'épisode. Une condensation cruelle, mais révélatrice, de la substance filmique. Une métaphore.

Mais nous n'en avons pas encore fini avec le plan 207. Si les deux poignées sont les deux chefs, et les dents de la lame l'armée coupante, les soldats, nous aurons, à partir de là, une représentation de la Russie : l'arbre abattu et la scie en croix, qui vibre, qui prend corps dans le jeune homme russe abattu, la gorge tranchée comme un animal. C'est l'anéantissement de la vitale verticalité. En outre, ce qui est encore significatif dans ce plan et dans le plan suivant, c'est que le jeune Russe est tué par une épée et tombe près d'une scie vibrante. De plus :

Plan 208-25-10 : 1h 38' 09" : Du haut de son cheval, le prince épée en main se dirige, après son forfait meurtrier, à gauche. Il s'arrête et essuie rapidement son épée avec un mouchoir blanc qu'il jette ensuite. (Cf. Photogramme – Epée 1.) Andreï Tarkovski, Andreï Roublev. Photogramme Épée 1. Plan 208. Photogramme Épée 1 : Andreï Roublev Plan 208. Le prince après son forfait meurtrier, essuie son épée avec un mouchoir et il le jette.

Nous assistons, ici, à un glissement dans la hiérarchie d'une représentation : L'épée qui tue → la scie qui vibre → l'épée essuyée.

Là aussi, ce glissement justifie, à son tour, d'autres glissements dans le corps du film. Le réalisateur effectue, à vrai dire, ces glissements avec une grande maîtrise. A ce propos, il n'est pas inutile de citer un long passage du Cahier Journal du cinéaste, au 24 janvier 1973 : (…) "Il fut un temps où je pensais que le cinéma (…) était avant tout une série d'images fixes, d'images photographiques, sans équivoque possible. Qu'il devait donc être perçu de la même façon par tous les spectateurs. (…) Jusqu'à un certain point, c'était vrai, mais au fond, je faisais erreur. Il faut trouver, élaborer un principe qui permette d'agir sur le spectateur d'une façon individuelle, qui fasse d'une image totale, une image privée, comme c'est le cas en littérature, en poésie, en peinture ou en musique. Et le secret me paraît être le suivant : montrer le moins possible pour que de ce moins, le spectateur puisse se faire une idée du tout. L'image au cinéma, selon mon point de vue, doit être fondée là-dessus. Et si l'on parle de symbolique, alors le symbole au cinéma, c'est le symbole de l'état de la nature et de la réalité (…) où le principal n'est plus le détail, mais ce qui est caché ! " [2] Ce qui est caché, c'est aussi ce qui peut être suggéré, et ce qui est suggéré est toujours à l'intérieur d'une série de suggestions. [3] Par exemple, que serait le plan 207 sans la scie vibrante. Si nous considérons la séquence des plans de la scie, sans cette dernière, nous n'aurons qu'une séquence violente de plus :

Plan 205 : le prince poursuit et abat le jeune russe ; Plan 206 : le corps du jeune homme gît près d'un tronc d'arbre ; Plan 207 : le cou tranché ; Plan 208 : le prince essuie son épée.

Ainsi avec un tel montage, les plans 206 et 207 n'ont plus, à la rigueur, aucune nécessité directe dans le film. Le cinéaste aurait pu occulter les deux plans sanglants (qu'on lui reproche tant). Mais quel est le sens caché du plan 207, et que justifie le montage avec la scie ? Il faut dire que, dans le cas contraire, le jeune homme, ne serait qu'un homme mort de plus, comme il y en aura d'autre dans le film, et particulièrement dans cet épisode. Le plan n'aurait, alors déclenché aucune résonance de sens et de signe susceptible de lancer des ponts sémantiques. Or, en fin de compte, ce jeune homme mort n'est pas n'importe qui, c'est le seul homme que le prince-traître tuera.

Ainsi, non seulement le prince sera l'agent de la trahison mais aussi la main exécutrice. De plus, comme tout objet manipulé dans le cinéma est un objet de transition ou de relations sémantiques, l'attribut guerrier du prince, l'épée, possède comme nous allons le voir, des connotations positives, symbole de bravoure et de courage, qui ne concordent pas avec le calque caractériel du prince. C'est une absurdité, un traître qui est brave ou courageux. La solution de Tarkovski est donc d'introduire et d'ajouter la scie vibrante. L'introduction de cet objet en mouvement nous oblige à voir deux choses : la scie et la tête. La centralité de l'image tragique d'un cou tranché est déplacée vers la scie sans, qu'à son tour, elle ne devienne le centre de l'image. Il y a là une double "palpitation" : d'une part, la scie qui, par sa forme, rappelle aussi un étrange papillon métallique et maléfique et, d'autre part, les dernières palpitations d'un corps qui se vide de son sang. Nous aurons plusieurs images de cette sorte dans le film (plans 19 - 21 ; 44 ; 86 ; 126 ; 131 ; 147 ; 169 ; 240 ; 241 ; 242 ; 291 ; 319 ; 367 - 388). Elles introduisent souvent un développement sur l'idée de la mort, ou plutôt, si l'on ose dire, une "substantiativité de la mort", ou alors encore de la fin d'un état, d'une situation. La mort souffle ou siffle avec Efim au plan 21, et avec le jeune homme au plan 207. Dans les plans 169 et 261, la mort s'évapore en coulant (169) ou se condense en flottant. Nous sommes dans les interstices du passage de la mort (ou d'une finitude), dans les marges de l'au-delà.



Fichier:Sciep1.jpg
Photogramme - Scie 1 : Andreï Roublev, Plan 207.


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Liens spécifiques du film

Voir : Andreï Roublev


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Voir aussi

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Notes et références

  1. Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.


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