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Thèse:Introduction:La méthode de l'arbre cinémantique

98 octets ajoutés, 15 juillet 2011 à 12:10
Comme dans un rêve, nous gardons du passé une certaine idée, une forme globale, mais aussitôt apparaissent dans cette forme des zones ambiguës, des zones où se chevauchent plusieurs états, plusieurs fonds, pour former en fin de compte un "complexe". Le passé est comme chacun le sait, un état de présent accumulé ou un archivage mal ordonné du présent. Il n'est pas comme le présent qui s'actualise dans un "ici et maintenant". Le passé se perd ou s'oublie dans un "ailleurs et autrefois". Les associations se forment tout naturellement, surtout quand dans un présent actualisé nous sommes en présence d'un objet, d'un site,<ref>Même d'une odeur (difficilement établie au cinéma) ou d'une saveur particulière, comme la madeleine de Marcel Proust.</ref> qui fait venir à la surface des zones d'ombre de notre passé. La question est vaste, mais nous avons voulu, d'une part, montrer certains liens évidents entre le passé et le rêve, et d'autre part, montrer que le passé passe souvent, pour ne pas dire régulièrement, par le canal du rêve, et qu'il se manifeste d'une manière ou d'une autre.
Le thème du rêve est récurrent dans le cinéma d'Andreï Tarkovski. Il présente plusieurs exemples de la relation entre le rêve et le passé. Il y a dans ''Nostalghia '' quatre rêves ; dans Andreï Roublev, le rêve d'Andreï Roublev et sa rencontre avec Théophane le Grec mort ; dans ''Le Miroir '' l'épisode du "Rêve d'Aliocha". Ce qui semble révélateur, c'est l'intégration des rêves dans la cinémancie, comme outil de prospection pour explorer le passé et annoncer le futur. Cela ne date pas d'aujourd'hui, mais remonte à l'antiquité et même à la Bible. Le terme utilisé par les anciens est "l'oniromancie". Nous porterons un œil vigilant aux rêves dans le cinéma en général, car ils témoignent toujours d'un intérêt nouveau et inédit, ils sont souvent porteurs d'une symbolique nouvelle et par-là ils dévoilent de nouvelles combinaisons sémantiques.<ref>J. Donner précise que (…) "la source d'inspiration de Bergman se situent dans le rêve et l'irrationnel", op. cit., p. 48. Cf. également, Rêves de Femmes (Kvinnodröm) pp. 36 et 61-63 ; Nuit des forains, rêve de Frost (le clown), pp. 52 ; 77 ; 82 ; 137 ; 140. F. Cesarman, op. cit., pp. 39 ; 188 ; 197 ; 204 ; 217.</ref>
Mais les rêves constituent seulement une part des outils prospectifs du passé. Nous devons encore mentionner un haut fait culturel, que Gilbert Durand à la suite de Gaston Bachelard appelle : […] "la consultation du patrimoine imaginaire de l'humanité que constituent la poésie et la morphologie des religions."<ref>Gilbert Durand, Les Structures Anthropologiques de l'Imaginaire. Introduction à l'archétypologie générale, Edition Dunod, (1969), 11ème éditions, 1992, p.20.</ref> Toutefois, il faudra ajouter dans le cadre de ce patrimoine, les mythes, les coutumes, les légendes, les croyances, etc. Car nous revendiquons avec Gaston Bachelard le droit à […] "une étude systématique de la représentation, sans exclusive aucune."<ref>Gaston Bachelard, La philosophie du non, p.75.</ref> Ainsi, cette étude systématique est double. Elle implique une étude d'une part au niveau de l'image cinématographique, des comparaisons d'une image filmique avec plusieurs autres images, comme par exemple le cheval,<ref>Ici, il s'agit de la figure du cheval et non plus de l'animal.</ref> chez Tarkovski, Bertolucci (''Novecento''), Buñuel (''Viridiana''), Bergman (''La Source''), d'autre part, au niveau des racines de la représentation de l'image.
Remarquons que le symbolisme des mythes et des légendes se forme et se confond dans le domaine de la divination et de la superstition. Pour illustrer nos propos, il suffit de considérer les animaux qui pullulent dans le cinéma d'Andreï Tarkovski : des chevaux, des chiens, des chats, des coqs, etc. Dans un film, un animal ne représente que lui-même. Mais si nous voulons nous introduire dans la profondeur de l'image, et dégager les relations que ces animaux forment avec le film, nous devons nous engager à consulter les légendes et les mythes spécifiques qui ont contribué à la formation d'images générales que C. G. Jung appelle les archétypes : (…) "Schémas ou potentialités qui façonnent inconsciemment la pensée."<ref>C.G.Jung, Les types psychologiques, Editions Georg, Genève, 1950, p.310 sq. Cf. également du même auteur, L'Homme et ses symboles, Editions Robert Laffont, 1964, p.66 sq.</ref> Cependant, il arrive que la valeur significative des "associations" soit insuffisante. Ainsi, dans le cas précis d'un rêveur, […] "La méthode des associations a une importance capitale pour tout ce qui est "thématisme personnel" du rêveur, mais il est des cas où le rêveur se trouve totalement dépourvu d'évocation associative. (…) Nous arrivons à la célèbre méthode des "amplifications".<ref>Roland Cahen, Le rêve et les sociétés humaines, ouvrage collectif, op. cit., pp. 108-109</ref>
La complexité de la question de la divination déborde sur d'autres questions, comme le symbolisme, la superstition et l'ethnologie. (…) "La divination est appelée en Grèce, "mantiké techné", l'art prophétique, et le nom du devin, du prophète, de toute personne qui prédit l'avenir, "mantis".<ref>"Mantis",provient lui-même de la racine "mainomai", être pris de délire, et en particulier, être mis hors de soi par la divinité. C'est le même sens que l'on retrouve dans "enthousiadzein" (issu de la racine theos), être possédé par un dieu, être saisi par l'enthousiasme." Raymond Bloch, La Divination dans L'Antiquité, P.U.F. 1984, p.9.</ref> Ce premier type (ou mode) de divination est dite inspirée car : (…) "Le fidèle, le prêtre ou son représentant reçoit l'influx divin, après s'être mis en condition suivant des règles bien strictes et qui sont différentes suivant les lieux et les époques."<ref>Raymond Bloch, op. cit., p. 6</ref> Un bel exemple nous est livré par B. Bertolucci, dans Little Boudha, lors de la consultation de l'oracle. Dans ce film, le prêtre est un homme. Il en est de même dans le film de Martin Scorsese, Kundun. En Grèce, généralement la "représentante" est une jeune fille vierge issue d'une bonne famille. Ce type de divination échappe au commun des mortels. Toutefois, il existe des cas ou des êtres humains eux-mêmes peuvent devenir les instruments inconscients de la divinité et fournir des signes à ceux qui cherchent une réponse à leurs questions.<ref>Cf. Article, J.Defradas, "La Divination dans la Grèce Antique", dans La Divination, Etudes recueillis par Andreï Caquot et Marcel Leibovici, 2 tomes, P.U.F. 1968.</ref>
Ailleurs, c'est une parole prononcée sans aucune intention par une personne de passage qui apportera la réponse attendue. Le "clédon" ou les paroles prophétiques, sont des cas extrêmement courants dans le cinéma. Un exemple de clédon est proposé par B. Bertolucci, toujours dans Little Boudha. Sidharta est en méditation depuis six ans, près d'une rivière. Sur une barque passe un maître en musique, qui dit à ses élèves : "''La corde trop tirée se casse, la corde pas assez tirée ne sonne pas.''" Ce fut la grande révélation du "juste milieu" pour Sidharta : (…) "Cette forme de présage, très répandue, (…) montre quelle importance on accordait aux mots, aux clédon, explique le soin qu'on mettait à éviter les paroles de mauvais augures."<ref>J. Defradas, op. cit., p. tome 1, p. 171.</ref> "L'Omen" (romain) est très exactement comparable aux clédon grecs. Il est, dans son sens strict, le présage entendu. Il intéresse l'individu et la vie de tous les jours. […] "C'est que selon les remarques de Ciceron, toute phrase prononcée par un tiers dans une intention qui lui est propre mais pouvant s'appliquer aux préoccupations et à la conduite du sujet intéressé, constitue un présage pouvant inspirer crainte ou confiance".<ref>Ciceron, De Divinatio, p. 40.</ref> (Voir également : [[Divination]]).
Le second mode de divination repose sur l'interprétation des signes, elle est dite "inductive". Elle est infiniment plus variée, et elle va nous intéresser tout particulièrement tout le long de notre étude. Nous n'entrons pas dans les détails. Car les formes de divination inductive par les signes sont nombreuses et variées. Suivant les civilisations, elles ont connu au cours de l'histoire une faveur inégale. En fait nous devons distinguer d'une part, la divination qui s'adresse au sens, particulièrement l'ouïe et la vue et d'autre part, la divination qui s'implique dans une relation avec un objet.
Par ailleurs, nous constatons que la plupart du temps, la consultation divinatoire est en général pratiquée pendant les périodes critiques : […] "à la veille d'une guerre, au moment d'une épidémie, avant un mariage, au sujet d'une construction ou restauration d'un édifice public ou privé."<ref>Cf. Caquot/Leibovici, op. cit., p. VI.</ref> Parfois, à propos de la fondation d'une cité ; autrefois pour des questions plus personnelles. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on : […] "consulte le devin en état de crise, d'angoisse, de doute, d'incertitude. Le devin prépare la décision du consultant, l'aide à surmonter une crise, élimine l'insécurité morale et physique du client…"<ref>Les films dramatiques, les fictions, les westerns, les films noirs, les comédies, etc.</ref>
Et, qu'est-ce que le cinéma ? N'est-ce pas la chronique d'un individu, d'un groupe, d'une population en période critique ? En état de crise ? Sans crise il n'y a plus de film. La plupart des grands genres cinématographiques passent nécessairement et obligatoirement par cette case de départ. En voilà des exemples : A la veille d'une guerre : ''Andreï Roublev '' (A. Tarkovski), ''Cuirassé Potemkine'', et ''Alexandre Nevski '' (S. Eisenstein), ''Run '' (A. Kurozawa), ''Vivre '' (Y. Zhang) ; au moment d'une épidémie : ''Andreï Roublev '' ; avant un mariage : ''Les Chevaux de feu '' (S. Paradjanov), ''La petite vertu '' (S. Kober) ; au sujet d'une construction d'un édifice : ''Andreï Roublev '' ; à la suite d'un prodige : la chute d'un météorite, ''Stalker '' ; l'individu en état de crise, d'incertitude, la liste est interminable, nous citons comme exemple: ''Andreï Roublev'', ''Le Miroir'', ''Stalker'', ''Nostalghia '' (A. Tarkovski) ; ''Les Ailes du Désir'', ''Paris Texas '' (W. Wenders), ''La Fièvre dans le Sang '' (E. Kazan). Nous allons voir que la "divination" a souvent une part, parfois invisible, imperceptible dans un film, et joue un rôle important, d'une part, dans la diégèse, la divination fait partie de la crise filmique et d'autre part, dans la construction technique du film à tous ses niveaux : le scénario, les repérages, les décors et les accessoires, le tournage, le découpage et enfin le montage. Par ailleurs, la divination a des rapports avec la superstition. C'est la matière de ce qui suit.
====La superstition====