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Stalker

6 282 octets ajoutés, 2 janvier 2013 à 19:27
===== Le météorite (plan 2)=====
Comme ''Citizen Kane'' d'Orson Welles, comme ''Les Chevaux de Feu'' de Sergeï Paradjanov. ''Stalker'' est aussi un film qui commence par la chute d'un objet, d'un objet colossal, phénoménal. Un objet qui dépasse jusqu'à présent tout ce que nous avons pu voir, dans l'ordre de grandeur d'un objet : il s'agit d'un météorite, <ref> Soulignons au passage le changement de registre du statut de l'objet d'une plume dans ''[[Nostalghia]]'', nous passons à un [[météorite]]. Nous allons constater comment cet "[[objet]]" va dessiner toute la physionomie du film. </ref> qui donne d'emblée au film un caractère [[Catalogie (de l'objet)|catalogique]]<ref> Certes, comme le souligne M. Dominique Avron, à titre personnel, il peut y avoir un lapsus à propos du caractère [[Catalogie (de l'objet)|catalogique]], dans lequel il fait la distinction entre un "objet humain" (perdus, jetés, etc.) et des "objets non-humains" (météorite). En fait cette question a été abordée dans le ''Mémoire de D.E.A''. (''[[Thèse:Bibliographie#ancre_9|op. cit.]]'') Elle concerne "le propriétaire d'un objet" (soit il est personnel, soit il appartient à un tiers). Dans tous les cas, ce qui compte, c'est "l'émanation" de l'objet sur l'humain. </ref> extrême ; d'où, par conséquent, les aspects et les significations, si l'on ose dire, extrêmes, voire paradoxaux des données du film. <ref> Cf. J. Mitry, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', tome 1, p. 84. </ref> Pourtant, comme le signale l'intertitre du début du film : "Ce n'est pas sûr." Voilà un premier paradoxe, car, nous ne verrons pas le météorite tomber. Nous n'en saurons rien, hormis quelques rares signalisations verbales dans le corps de l'œuvre. Dans ces conditions, nous perdons au fur et à mesure du déroulement de l'action, la réalité effective de la chute d'un objet céleste. Regardons de près le développement de cet aspect : la première signalisation est annoncée dès le plan 4. <ref> Le découpage des plans du film repose sur la revue ''Stalker, L'Avant-Scène Cinéma'', décembre 1993, N° 427.
</ref> Sur un fond bleu, au centre de l'écran, le texte suivant défile<ref> Ibid, p. 14. </ref> :
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Même l'avis d'un prix Nobel est incertain. De plus, nous apprenons qu'il y a eu des troupes qui ne sont pas revenues. <ref> C'est une autre question du film : est-ce un bonheur ou un malheur ? Nous aurons une autre indication à ce sujet, au [[#ancre_48|plan 48 ]] : Le Professeur : "« ''Finalement en a conclu que ce météorite, (…) n'en était pas tout à fait un, (…) Et pour commencer, on a posé le fil de fer barbelé… '' »</ref>
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===== Est-ce que le météorite est un « message du ciel » ?=====
Quoi qu'il en soit, la "Zone" devient un espace interdit, un lieu à éviter, défendu, le mirage d'un miracle. Tout l'intérêt et le drame du film résident dans l'accession et la progression de l'homme à l'intérieur de l'interdit. Tarkovski peint avec une lumière sombre le périple d'hommes transgresseurs. Le réalisateur est-il un homme transgresseur ? <ref> Yves-Marie Dumontier, Stalker, une introduction à une approche géopolitique du cinéma, mémoire de D.E.A. Cinéma, Paris III, 1999.</ref> Par ailleurs, dans le livre des frères Strougatski, le météorite est absent ; il s'agit d'une visite d'extra-terrestre. La question qui se pose est donc celle de savoir pourquoi Tarkovski accorde une importance à ce météorite. Il faut constater que : « " (…) L'aérolithe est considéré comme une théophanie, une manifestation et un message du ciel. (…) (Il) Remplit une mission analogue à celle de l'ange : mettre en communication le ciel et la terre. L'aérolithe est le symbole d'une vie supérieure, qui se rappelle à l'homme comme une vocation ou qui se communique à lui." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 10.</ref>
Ainsi, le film s'engage sur une voie biblique, grâce à un certain nombre d'indices qui vont se multiplier et vont acheminer le film vers cette voie. <ref>Il n'est pas faux non plus de dire que la plupart des films d'Andreï Tarkovski s'engagent dans une voie biblique. Toutefois "l'aspect religieux" est principalement axé dans sa vertu de conduire l'homme dans une ascension sacralisante. Il ne s'agit pas de délivrer un "message" religieux (comme une doctrine), mais d'engager l'homme dans une réconciliation avec la "nature". </ref> Après la biographie d'''[[Andreï Roublev]]'', moine-peintre du XVème siècle russe, [[Tarkovski Andreï|Andreï Tarkovski ]] propose une transposition biblique de la création dans une époque contemporaine. Cette composante biblique est en permanence sous-jacente : elle donne au film son caractère constamment pesant, pensant et perçant : pesant, car les protagonistes et les [[Objet|objets]] acquièrent un poids constant. Même l'[[eau]] dans ce film est lourde, métallique. Les murs suintent avec des reflets gris acier, comme s'ils transpiraient. <ref>Nous rappelons que le décor a été exécuté par Andreï Tarkovski (et de A. Merkoulov), ce qui donne à ce film un caractère supplémentaire du fait de l'intervention directe de l'auteur. </ref> Pensant, parce que tous les personnages adultes <ref> Une enfant "« Ouistiti"», qui est la fille du Stalker, ouvre et clôt le film. Elle a, quand elle pense, un pouvoir [[Télékinésie|télékinésique]] : elle peut déplacer les [[Objet|objets]] à distance. </ref> sont anxieux : dos courbés par un poids moral, fronts ridés, traits tirés. Perçant, parce que nous allons découvrir le mystère de la "« Zone"», et pénétrer dans son secret. De plus, les trois caractéristiques citées, illustrent d'une manière cinématographique les apparences et les facettes d'une dramaturgie qui vont au-delà de la configuration filmique.
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Le film ne se contente pas de re-présenter le drame de ces [[Trois (chez Tarkovski)|trois ]] principaux protagonistes, mais encore, le drame de la destinée humaine : drame de l'excès (matérialisme du Professeur), drame du succès (mondanité de l'Ecrivain), drame de la place du sacré (spiritualisme [[Hésitation|hésitant]] du Stalker), et en fin de compte, le drame d'être. Jean Mitry, en citant Gisèle Brelet, écrit: (…) "Le drame c'est essentiellement un devenir" <ref> '''Jean Mitry''', ''Esthétique et psychologie du cinéma,'' Editions universitaires, 1963, tome 1, p. 307. La question est souvent analysée par J. Mitry. Voir tome 1 : (…) "La composition filmique suppose et implique nécessairement deux plans compositionnels : la composition dramatique (ou du "réel" représenté)… ; et la composition esthétique ou plastique… " pp. 171-172 ; "Dramatisation de la peinture", pp. 255-256 ; "Le temps dramatique", §. 43. Temps et espace en musique, pp. 307-311 ; 376. Tome 2 : Section VI, Temps et espace du drame : Chapitre 14, En quête d'une dramaturgie, pp. 281-368 ; Chapitre 15, Le fonds et la forme, §. 77. Dramaturgie d'un film, pp. 385-405. </ref>, "le drame sert de prétexte à l'évocation d'un climat" <ref>''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|Op. cit.]]'', tome 2, p. 303. </ref>, "les événements sont orientés (ou choisis) en vue d'une certaine "finalité". <ref> ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|Op. cit.]]'', tome 2, p. 308. </ref> Dans Stalker, le climat est double, d'une part le climat proprement filmique, d'autre part, le climat social. Ainsi, Tarkovski anticipe d'une dizaine d'années, la chute du communisme, la fin de la guerre froide et la menace nucléaire (hantise du réalisateur). Il pose la question cruciale suivante : Que se passera-t-il après ? Comment l'homme va-t-il réagir à ces profonds changements ? Qu'est-ce qui de l'homme ou de la société, change ? Une fois de plus, nous assistons d'une manière frappante, à une convergence du monde filmique dans le monde contemporain. D'ailleurs, comme l'écrit à juste titre R. Dadoun : (…) "Toute image, quelle qu'elle soit, est comme intrinsèquement, du seul fait d'être là, marquée voire saturée par le politique." <ref>''Cinéma, psychanalyse et politique,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_14|op. cit.]]'', p. 14. </ref>
Regardons de près les images de ce film exceptionnel.
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==== Retour à l’appartement du Stalker ====
 
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[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_140a_Ouistiti.jpg|300px|thumb|right| alt=''Stalker'', '''Photogramme - 83 : Plan 140a.''' Gros plan de profil de la petite fille du Stalker, Ouistiti.|''Stalker'', '''Photogramme - 83 : Plan 140a.''' : Gros plan de profil de la petite fille du Stalker, Ouistiti.]]
 
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[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_140b_Plan ensemble.jpg|300px|thumb|right| alt=''Stalker'', '''Photogramme - 84 : Plan 140b.''' La famille réunit, accompagné du chien noir, descendent une pente avant de rejoindre l’appartement. |''Stalker'', '''Photogramme - 84 : Plan 140b.''' : La famille réunit, accompagné du chien noir, descendent une pente avant de rejoindre l’appartement.]]
 
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[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_141a_Lait_.jpg|300px|thumb|right| alt=''Stalker'', '''Photogramme - 85 : Plan 141a.''' Le contraste frappant entre la blancheur du lait et l’obscurité du plancher. |''Stalker'', '''Photogramme - 85 : Plan 141a.''' : Le contraste frappant entre la blancheur du lait et l’obscurité du plancher.]]
 
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[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_141c_chien_noir.jpg|300px|thumb|right| alt=''Stalker'', '''Photogramme - 86 : Plan 141b.''' Le Stalker se couche sur le sol, sa tête, de profil, repose à côté de la gamelle et du chien. Il respire avec difficulté. |''Stalker'', '''Photogramme - 86 : Plan 141b.''' : Le Stalker se couche sur le sol, sa tête, de profil, repose à côté de la gamelle et du chien. Il respire avec difficulté.]]
 
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[[Fichier: Stalker_Tarkovski_Plan_141d_Livres.jpg|300px|thumb|right| alt=''Stalker'', '''Photogramme - 87 : Plan 141c.''' La femme se penche sur lui. Le champ s’élargit progressivement, on distingue des nombreux livres sur des étages, jusqu’au plafond.|''Stalker'', '''Photogramme - 87 : Plan 141c.''' : La femme se penche sur lui. Le champ s’élargit progressivement, on distingue des nombreux livres sur des étages, jusqu’au plafond.]]
 
'''<span id="ancre_140">Plan</span> 140''' : ''2h 20' 32"'' : Gros plan de profil de la petite fille du Stalker, Ouistiti. (Cf. '''Photogramme – 83.''') On voit s’éloigner Ouistiti portée sur les épaules de son père, accompagné de sa Femme et du chien. Ils descendent une pente. <ref> Ce plan est comparable au plan d’ouverture du film '' [[Nostalghia]] ''.</ref> Ils longent un étang aux bords boueux, aux fonds les cheminées d’usines qui crachent des fumées denses. (Cf. '''Photogramme – 84.''')
 
'''<span id="ancre_141">Plan</span> 141''' : ''2h 22' 10"'' : Gros plan en plongée d’une gamelle dans l’obscurité. Une main verse du lait. Elle en verse un peu de côté. Le contraste est frappant entre la blancheur du lait et l’obscurité du plancher. (Cf. '''Photogramme – 85.''')
Le chien vient laper le lait, tandis que le chien continue de boire. Lent zoom arrière. Le Stalker se couche sur le sol, sa tête, de profil, repose à côté de la gamelle et du chien. Il respire avec difficulté. (Cf. '''Photogramme – 86.''')
 
- Stalker : «'' Si vous saviez, comme je suis las ! '' (Travelling arrière.) ''Dieu seul le sait. Ils se prétendent des intellectuels, ces écrivains, ces savants ! '' (Il frappe du poing contre le sol. La femme est à genou derrière le chien. )<br/>
- La Femme : '' Calme-toi ! '' (Le chien sent la nervosité, hésite à reprendre du lait.)<br/>
- Stalker : ''Ils ne croient en rien ! Chez eux… '' (Le chien sort à reculons.) '' l’organe de la foi est atrophié. '' (La femme se penche sur lui. Le champ s’élargit progressivement, on distingue des nombreux livres sur des étages, jusqu’au plafond.) (Cf. '''Photogramme – 87.''')'' Faute de besoin. '' <br/>
- La Femme : '' Couche-toi, ici c’est humide… '' (Elle laide à se relever.) '' Ne reste pas là… Enlève ça… '' »
 
Le Stalker enlève sa lourde veste en se dirigeant vers la gauche. Ils longent les étagères pleine de livre. Ils tournent à gauche. On découvre le lit du [[#ancre_5ap|plan 5a]]. La femme tire une couverture. Il s’assoit. Elle l’aide à retirer son pantalon. Il se met dans les draps et s’allonge. Elle s’assoit face à lui.
 
'''<span id="ancre_142">Plan</span> 142''' : ''2h 24' 26"'' : Le Stalker et sa Femme sont de profil. Des flocons de pollen évoluent dans l’air. La femme se penche sur le Stalker, suréleve son oreiller.
 
- Stalker : «'' Seigneur… quels gens… '' <br/>
- La Femme : '' Ce n’est pas leur faute… '' (Elle sort de sa poche un médicament.) '' Il faut les plaindre et non pas te fâcher. '' <br/>
- Stalker : '' As-tu vu, leurs yeux sont vides. '' (La femme se saisit d’un verre sur la chaise, donne la pilule au Stalker et l’aide à boire.) '' Ils ne pensent qu’à se faire valoir, à se vendre au meilleur prix… '' (La femme lui éponge tendrement son front.) '' à se faire payer chaque élan de l’âme. Ils considèrent ne « pas être nés pour rien », être « choisis »… Ils ne vivent « qu’une fois ». Comment peuvent-ils croire en quelque chose ? '' <br/>
- La Femme : (off) '' Calme-toi, ne parle plus. Essaie de dormir. … '' (Elle lui éponge le visage à l’aide d’un mouchoir plié.)<br/>
- Stalker : ''Personne ne croit, pas seulement ces deux-là. Qui vais-je emmener là-bas ? Ô seigneur, le plus terrible… c’est que personne n’en a besoin, de cette Chambre. Tous mes efforts ne servent à rien. ''<br/>
- La Femme : (off) '' Il ne faut pas parler ainsi. '' <br/>
- Stalker : (pleurant) ''Plus jamais je n’irai là-bas. '' <br/>
- La Femme : (off) ''Veux-tu que moi, j’aille avec toi ? '' <br/>
- Stalker : '' Où ça ? '' <br/>
- La Femme : (off) '' Tu crois que je n’aurais rien à demander ? '' <br/>
- Stalker : (Il ouvre les yeux) '' Ce n’est pas possible. '' <br/>
- La Femme : (off) '' Pourquoi ? '' <br/>
- Stalker : '' Et si toi aussi… tu échouais ? ''»
 
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''La suite est en préparation''