Miroir

De Cinémancie
Révision de 9 octobre 2011 à 17:20 par Dimitri Dimitriadès (discussion | contributions) (Le mythe grec de Narcisse)

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Raging Bull, plan 595. Image révélatrice du personnage changeant et complexe de Vic.



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Titres des films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée (min.)
A travers le Miroir Såsom i en spegel Bergman Ingmar Bergman Ingmar 1961 Suède 89
Derrière le Miroir Bigger Than Life Ray Nicholas Hume C., Lambert G., Maibaum R., Mason J., Odets C., Ray N., Roueche B. 1956 USA 95
Femmes en miroir Kagami no onnatachi Yoshida Kiju Yoshida Kiju 2003 France
Japon
129
Miroir Miroir Lamy Raymond Ollivier P., Rim C. 1947 France 90
Miroir (Le) (Voir détail : Zerkalo) Tarkovski Andreï Tarkovski A.

Micharine A.

Et poèmes d'Arseni Tarkovski.
1975 URSS 106
Miroir à deux Faces (Le) Miroir à deux Faces (Le) Cayatte André Cayatte A., Meckert J., Oury G., Perret D. 1958 France 96
Miroir magique (Le) Espelho magico Oliveira Manoel de Oliveira Manoel de
Bessa-Luis Agustina
2007 Portugal 137
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Autres titres de films

Mode d'emploi de la figure (mot) et abréviations


Titre Titre original Réalisation Scénario Année Pays Durée
Clean, Shaven Clean, Shaven Kerrigan Lodge Kerrigan L. 1995 USA 79
Lumière (La) Yeelen Cissé Souleymane Cissé Souleymane 1987 Burkina Faso

France

Mali
106
Nostalghia (Voir détail : Nostalghia) Tarkovski Andreï Tarkovski A.
Guerra T.
1983 URSS
Italie
130
Raging Bull Raging Bull Scorsese Martin Martin P.
Schrader P.
1980 USA 129
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Photogrammes extraits des films - Analyse et liens spécifiques des films

Le Miroir, d'Andreï Tarkovski

Miroirs intérieurs ; intérieurs du Miroir

Nous rencontrons cette figure majeure du film d'une façon dispersée, presque en passant, et nous avons déduit entre autres une fonction de passage. La première image d'un miroir est indirecte, nous l'a trouvons à l'ouverture du film, au plan 3, quand Ignat met en marche une télévision. Ensuite au IIème épisode, au plan 19b, et au plan 24b, l'image du reflet de Maroussia dans une bassine d'eau.(Cf. Photogramme – Miroir 1.)


Photogramme Miroir 1 : Le Miroir. Plan 24b. Nous avons l'impression d'avoir le double d'une tête qui émerge, comme une deuxième personne qui surgit de l'eau.


Cependant dans le VIème épisode, durant les quatre premiers plans de l'épisode (plans 55-58), la majeure partie des plans nous montre Natalia devant un miroir, discutant avec son ex-mari. La technique est remarquable, car nous ne sommes pas dans le schéma classique du champ-contre-champ, mais devant "un champ miroirisé", un champ dédoublé. Nous apercevons Natalia qui se regarde dans le miroir, ses cheveux tombent sur ses épaules. Ce face-à-face prolongé est presque interminable (plus de deux minutes). Ce cadrage nous oblige à observer longtemps Natalia, qui de plus, regarde le miroir elle-même. C'est comme si elle nous regardait. (Cf. Photogramme – Miroir 2. )


Photogramme - Miroir 2 : Le Miroir. Plan 61. Natalia souffle sur le miroir avec sa bouche en O.


Le mythe grec de Narcisse

Le plan 61 n'est-il pas un développement du mythe de Narcisse ? Il est aujourd'hui, (…) "tout particulièrement prisé par les psychanalystes qui, depuis 1914, ont même fait dériver de son nom un concept à succès : le narcissisme." [1] Rappelons que Narcisse, "est un jeune homme, qui méprisait l'amour. Sa légende est rapportée de façons différentes selon les auteurs. [2] Cette séquence obligatoirement narcissique, ne s'agit-il pas d'un effet de tournage cinématographique ? Car Tarkovski, en voulant abolir le procédé du champ-contre-champ, était obligé d'user de cette technique. Toutefois, ce qui est sûr, c'est que la séquence soulève impudemment, outre la question du miroir et du reflet, la problématique du regard, du double et de l'illusion. [3] Nous le voyons, la question du Narcissisme ouvre des perspectives multiples, qu'on ne peut développer inconsidérément. Bachelard dit dans L'eau et les rêves : "Un livre entier serait nécessaire pour développer la "psychologie du miroir." (Voir : Eau) Cependant, nous devons regarder de près les différents sens attribués au miroir. (…) "Si, en vertu de sa surface réfléchissante, le miroir est un symbole de sagesse et de la connaissance de soi-même – il reflète la vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience – il permet également la connaissance de l'avenir et des choses cachées. C'est le fameux miroir magique (Blanche-Neige.) [4] "Le miroir, "speculum", d'où vient spéculation, fut utilisé comme moyen d'évocation dès la plus haute antiquité. On appelait d'ailleurs "spéculaires" les magiciens qui "faisaient voir dans un miroir les personnes ou les choses qu'on désirait connaître." [5] "Originaire de Perse, la divination par le miroir, appelée "catopromancie" ou "cristallomancie", qui est un des plus anciens systèmes divinatoires, est signalée dès le VIème siècle avant notre ère, en Grèce, où l'on utilisait des miroirs en métal poli (cuivre, bronze, argent ou or). [6] A. Delatte prétend que les miroirs magiques "sont essentiellement des organes de condensation de la lumière astrale ; aussi le charbon, le cristal, le verre et les métaux pourront-ils être employés." [7] "Du point de vue médical, la fixation pendant un certain temps d'un corps brillant conduit à un état hypnotique propice aux hallucinations."


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L’inépuisabilité de la relation miroir-eau

Nous devons distinguer le rapport presque continu et enchevêtré miroir/eau : (…)"En vertu de l'analogie eau-miroir, on rencontre fréquemment l'utilisation magique, chez les Bambaras, par exemple, de fragments de miroir dans les rites pour faire venir la pluie." [8] "Le miroir, de même que la surface de l'eau est utilisé en divination, pour interroger les esprits. Leur réponse aux questions posées s'y inscrit par réflexion." [9] Comme ce fut le cas dans le film de Souleiman Cissé, Yeelen. Bachelard cite Delatte en précisant que "les combinaisons de l'hydromancie et de la catoptromancie ne sont pas rares.(…) Il (lui) semble donc indéniable qu'une des composantes de l'hydromancie provienne du Narcissisme." Et il ajoute : "dans l'hydromancie, il semble bien qu'on attribue une double vue à l'eau tranquille parce qu'elle nous montre un double de notre personne." [10] Dans le développement de cette idée, Bachelard s'appuie sur le livre de Joachim Gasquet "Narcisse", lorsque ce dernier dit que : (…) "Le monde est un immense Narcisse en train de se penser, où se penserait-il mieux que dans ses images ? Dans le cristal des fontaines, un geste trouble les images, un refus les restitue." [11] En fait, ces longs détours prouvent une double inépuisabilité : d'abord une inépuisabilité du signe, qui à l'instant même de son passage dans l'actif ou dans son action de codification successive, se combine, se transpose, se métamorphose, s'associe, s'éclipse provisoirement, s'atténue momentanément, s'incarne, s'objective, se matérialise, se substantifie, etc. Autrement dit encore, un signe n'est pas une fixation, mais une irruption, il n'est pas une stagnation, mais un écoulement. D'autre part, il y a l'inépuisabilité du film lui-même, qui nous oblige à effectuer une progression lente due au nombre élevé de passages significatifs.


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Liens spécifiques du film

Voir : Miroir (Le)


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Nostalghia, d'Andreï Tarkovski

Dédoublement et déplacement à travers le miroir

Dans « La Maison de la fin du monde », au Plan 47. Le Poète longe un mur en coin, au bout duquel il y a un vieux miroir. Il regarde attentivement son double. (46c) (2ème série de bruit-off de scie.) (Cf. Photogramme – Miroir 3.) Il regarde à gauche, au bout d'une étagère, sur laquelle sont disposés des objets hétéroclites, fleurs séchées.

Photogramme - Miroir 3 : Nostalghia, Plan 46c. Le Poète et son double : côte à côte.

Mais le Poète se trouve illogiquement du côté gauche, sans traverser le champ de droite à gauche. Comme s'il avait traversé le miroir ? C'est encore une variation sur la thématique du "déplacement" (46d). Il regarde une image collée au mur : un bébé en plastique qui semble désarticulé. Est-ce l'enfance désaxée ? Son enfance ? Leurs enfances, celle du Poète et celle du "Fou" ? Ou plus généralement "l'enfance de l'humanité" ?

Plan 47 : 48' 50" : "Le Fou" entre dans le champ avec une bouteille d'huile. Il tend sa main, et verse deux gouttes d'huiles dans le creux de sa main. Il dit au Poète : " Une goutte plus une goutte font toujours une goutte." (3ème série de bruit-off d'une scie.) (Lire la suite : Cigarette.)

Plan 51 : 51' 54" : Retour au "Fou". Il est devant des étagères, enfoncées dans le mur. Comme si c'était "l'autel du lieu" ? Quelques instants plus tard, en effet, il tend religieusement un verre de vin et un morceau de pain au Poète (51b). Cela témoigne de la consubstantialité (graduelle) entre le Poète et "le Fou", comme semble le montrer le plan 53, le double du plan 46c, avec l’image du "Fou" doublé à travers un miroir. (Cf. Photogramme – Miroir 4.)(Lire la suite : Bouteille.)


Photogramme - Miroir 4 : Nostalghia, Plan 53. "Le Fou" et son double".


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Liens Spécifiques du film

Voir : Nostalghia


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Notes et références

  1. Cf. Article Annie Gutmann, "Infortuné Narcisse", dans L'attente. Et si demain…, dirigé par Claudie Danzigu et Alice Chalonnet, Editions Autrement – Série Mutations, N° 141, Paris, 1994, p. 75-89.
  2. "La version la plus connue est celle d'Ovide dans les "Métamorphoses"… A sa naissance ses parents interrogèrent le divin Tirésias, qui leur répondit que l'enfant "vivrait vieux s'il ne se regardait pas." Arrivée à l'âge d'homme… La nymphe Echo devint amoureuse de lui. Mais Narcisse reste insensible. Désespérée, Echo se retira… maigrit, et de sa personne il ne resta bientôt plus qu'une voix gémissante. Les filles méprisées par Narcisse demandent vengeance au ciel. Némésis les entend… Un jour de grande chaleur, après une chasse, Narcisse se penche sur une source afin de s'y désaltérer. Là, il aperçoit son visage, si beau, qu'il en devint amoureux. Insensible au monde, il se penche sur son image et se laisse mourir. Encore, sur le Styx, il cherche à distinguer les traits aimés." Pierre Grimal, Dictionnaire de la Mythologie, P.U.F. Paris, 1988, p. 308. Cf. également d'autre versions de Narcisse : Conon, Narrations, 24' ; Pausanias, Descriptia Graecae, IX. 13. 72.
  3. Cf. à ce sujet, la thèse de Doctorat de F. Frontisi-Ducroux, Prosopopon : valeurs grecques du masque et du visage, EHESS, dir. J.-P. Vernant, 1987.
  4. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 634.
  5. Collin de Plancy, op. cit.
  6. Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit., p. 1139.
  7. A. Delatte, La catoptromancie grecque et ses dérivées, op. cit., p. 114.
  8. Germaine Dieterlain, Essai sur la religion des Bambaras, Op. cit.
  9. Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit.,p. 637.
  10. G. Bachelard, L'eau et les rêves, op. cit., pp. 34-35.
  11. Op. cit., p. 35. A partir de là, nous pouvons définir le cinéma comme étant un "narcissographe".


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