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Feu

415 octets ajoutés, 14 août 2011 à 16:59
====Andreï Roublev prend feu====
<br/>
'''<span id="ancre_1ancre_106">Plan</span> 106-1''' <ref> Le premier chiffre correspond aux plans du film depuis le début du film, le second chiffre aux plans du film depuis le début de l'épisode.</ref> : ''52' 15&quot;'' : Le 4ème épisode, '''« La Fête, printemps 1408 »''', commence par le débarquement de Roublev et de ses compagnons au bord accueillant d'une rivière. C'est le crépuscule. Une musique troublante en chant de cigale amorce une émotion d'excitation sensitive. <ref>'''F. Farago''' écrit : (…) "Des images d'une poésie envoûtante, doublées d'une musique magicienne, dépeint la grande nuit slave…", ''Andreï Tarkovski, Études cinématographiques,'' N° 135-138, Éditions Lettres Modernes, Minard, Paris, 1983. p. 33. </ref>
'''<span id="ancre_2ancre_107">Plan</span> 107-2 :''' ''52' 18&quot;'' : Roublev et Thomas (son jeune et fougueux assistant) se dirigent vers la forêt pour chercher du bois pour le feu du soir. Ils sont munis d'une grande branche.
'''<span id="ancre_3ancre_108">Plan</span> 108-3 :''' '' 53' 01&quot;'' : Roublev s'arrête au milieu du trajet. Il regarde en arrière. (Un [[oiseau]] traverse l'écran.)
'''<span id="ancre_4ancre_109">Plan</span> 109-4 :''' '' 53' 41&quot;'': Roublev est bouleversé, il dit : « ''Des sorcelleries.''» Abandonnant Thomas sur place, il se lance aussitôt à la poursuite de personnages dont les images sont vagues et floues, comme des [[Ombre|ombres]].
'''<span id="ancre_5ancre_111">Plan</span> 111-6 : ''' ''54' 40&quot;'' : Roublev tombe nez à nez devant une bacchante nue aux longs [[cheveux]] blonds. Elle est visiblement stupéfaite de voir un moine en [[habit]]. Ce dernier est confus et ému. Il mène un combat intérieur entre la raison et l'instinct. Nous distinguons tour à tour "le visage de l'instinct", yeux enfiévrés, exorbités, le regard tendu, celle d'un chasseur, et "le visage de la raison" : la tête qui veut commander à ses [[Pied|pieds]] de faire pivoter tout son corps et de fuir. Mais l'instinct l'emporte sur la raison. <ref> Cf. '''Charles Darwin''' (1809-1882), ''L'expression des émotions chez l'homme et les animaux,'' traduit de l'anglais par Samuel Pozzi, Editions C. Reinwald, Paris, 1890. '''Jacques Fradin''', ''Les états fonctionnels de l'instinct : nouveau feed-back des thérapies comportementales et cognitives'', Editions Institut de médecine environnementale, Paris, 1992. '''Henri Piéron''', ''Les problèmes actuels de l'instinct,'' Editions Cariscript, Paris, Collection Lacunes, 1991. '''Philippe Lekeuche et Jean Mélon''', ''Dialectique des pulsions'', Editions universitaires, Paris, 1990. '''Niko Tinbergen''', ''The study of instinct'', Oxford university press, 1989. '''Steven Pinker''', ''The language instinct : the new science of language and mind,'' Penguin Books, London, 1995.</ref> Le corps tendu, il avance vers la femme nue. C'est alors qu'un homme surgit d'on ne sait pas où, il saisit la belle femme, et ils s'allongent ensemble dans les [[Buisson|buissons]] derrière un [[arbre]].
'''<span id="ancre_6ancre_115">Plan</span> 115-11 :''' '' 55' 07&quot;'' : Roublev reste sur place, il regarde, perplexe, la scène. C'est peut-être la fois de sa vie qu'il voit une femme nue, et qu'il entend un couple s'unir. Il est dubitatif. Il ne tient visiblement pas en place en regardant attentivement cette scène orgiaque :
'''<span id="ancre_7ancre_116">Plan</span> 116-12 :''' '' 55' 14&quot;'' : Il n'a pas pu voir une torche enflammée qui est à ses [[Pied|pieds]] et qui commence à enflammer en un instant le bas de sa robe. Le plan est d'autant plus pertinent qu'il montre une branche située près de la tête de Roublev, une branche qui rappelle celle qu'il a cherchée avec Thomas.
Il était venu chercher du bois, et c'est lui qui commence à prendre feu. Le plan 116 est inducteur de plusieurs propositions imaginaires. Nous venons de voir un cas de figure. Un second cas, serait la descente de Roublev en enfer. Un troisième cas : la flamme de feu, le feu éthéré, qui atteint Roublev par ses pieds, par la base de son être.
====Les figures dérivées du feu : torche et fumée====
Dans le '''[[#ancre_7ancre_116|plan 116]]''', les [[Pied|pieds]] de Roublev ont commencé à prendre feu à cause d'une torche lâchée vraisemblablement par la bacchante elle-même – peut-être quand elle a aperçu le moine et pour faire oublier la nudité de son corps. Mais ce feu, est-ce un feu purificateur ? Ou un feu démoniaque ? Notamment avec l'articulation de la signification phallique du pied. L'image peut suggérer un sens érotique, avec en plus, pour renforcer cette idée, la présence de la branche près de la tête de Roublev. Nous pouvons constater que plusieurs idées peuvent prendre sens et forme dans l'âme confuse d'Andreï Roublev, et cela précisément parce qu'il a tout vécu, tout traversé. A la force de l'expression de l'acteur, le cinéaste ajoute des éléments formels qui contribuent à montrer les différents passages du grand peintre.
La figure du feu est prépondérante dans le cinéma de Tarkovski.<ref>Peut-être l'image la plus emblématique et la plus éclatante qui est d'ailleurs une illustration parfaite de la torche…humaine, c'est l'avant-scène finale de ''Nostalgia'' : Domenico le Fou et son immolation par le feu, et en montage parallèle le Poète et la flamme de la bougie dans la piscine de sainte Catherine. </ref> Nous avons sans doute au plan 116 l'origine de cet éblouissant parallélisme paradoxale de la figure du feu. Elle est, en quelque sorte, traitée de la même manière, à une nuance près : elle n'est pas traitée en séquence de montage parallèle mais comme deux scènes superposées. Car, au
'''<span id="ancre_8ancre_117">Plan</span> 117 - 11 :''' '' 55' 35&quot;'' : Après la robe en feu de Roublev, nous assistons à une cérémonie étrange, pleine de douceur et de fraternité. En effet, au bord de la rivière, deux rangs d'hommes et de femmes forment une double chaîne humaine qui poussent une petite [[barque]]. Dans cette barque on a déposé une curieuse figurine faite de [[paille]], une [[bougie]] allumée est plantée au niveau de sa tête. (Cf. '''Photogramme – Feu 1.''')
<span id="ancre_117ap"></span>[[Fichier:feup2.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 1 : ''Andreï Roublev'', '''Plan 117a'''. La petite barque de procession.]]
La petite barque est ensuite repoussée délicatement par la double chaîne humaine au fur et à mesure qu'elle voguait sur l'eau. (Cf. '''Photogramme – Feu 2.''')
<span id="ancre_117bp"></span>[[Fichier:feup3.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 2 : ''Andreï Roublev'', '''Plan 117b'''. L'étrange procession de la petite barque.]]
Le titre de "Dadouques" donné à l'un des principaux prêtres d'Eleusis signifie "Porte-torche". La torche semble indiquer un symbole de purification et d'illumination. (…) "Elle est la lumière qui éclaire la traversée des Enfers (Perséphone) et les chemins de l'érudition. <ref>'''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 956. </ref> Les innombrables rites de purification par le feu sont manifestes, de l'occident au Japon, en passant par la Chine, l'Inde, les Aztèques, les Bambaras, les Celtes, etc. Généralement ces rites de passage sont caractéristiques de cultures agraires : (…) "Ils symbolisent, les incendies des champs qui se parent ensuite d'un manteau vert de nature vivante." <ref> '''R. Guenon''', ''Symboles fondamentaux de la science sacrée'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' </ref> Mircea Eliade note la signification sexuelle du feu qui est, "universellement liée à la première technique du feu par frottement, en va et vient, image de l'acte sexuel." <ref>'''Mircea Eliade''', ''Forgerons et Alchimistes'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 41. </ref> Cependant il précise que le feu a un caractère ambivalent : (...) "Il est d'origine soit divine, soit démoniaque (car d'après certaines croyances archaïques, il s'engendre magiquement dans l'organe génital des sorcières.) (Ibid.) Gilbert Durand observe que la sexualisation du feu est "nettement soulignée par les nombreuses légendes, qui situent le lieu naturel du feu dans la queue d'un animal." <ref> ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' pp. 360-361. </ref> Une illustration de cette image est le plan de la queue enflammée de l'âne dans ''Au hasard Balthasar'' , de [[Robert Bresson]].
La question du feu est vaste, au niveau de sa figure archétypale. <ref> Cf. '''Christian Roche et Jean-Jacques Barrère''', ''Le feu'', Editions du Seuil, Paris, 1999. Eric Golay (sous la responsabilité de), Editeur : musée d'ethnographie de Genève, 1999. </ref> Nous le verrons dans [[Le Miroir]]. Elle est aussi en profondeur dans cette séquence. Nous allons y revenir, mais pour le moment nous ne devons pas négliger un autre plan étrange qui suit directement la petite barque de procession. En effet, dans le '''[[#ancre_8|plan 117]]''', les hommes et les femmes sont nus face à face. Dans le plan en question :
'''<span id="ancre_10aancre_118">Plan</span> 118-12 :''' '' 56' 28&quot;'' : Nous distinguons avec une certaine difficulté, dans une clairière, un homme (ou une femme) debout sur un autre homme. Ils se couvrent ensuite de haut en bas d'une longue tunique de tissu clair : comme un fantôme de la nuit ! C'est l'image d'un géant de plus de trois mètres qui semble avoir un certain sens par rapport aux deux plans qui le précédent : la robe en feu et la petite barque. Par sa forme nettement phallique, c'est, si l'on ose dire, une érection physique de l'esprit, car c'est comme si la partie supérieure de l'homme, la tête, grandissait démesurément. Un sexe géant qui s'accouple avec la forêt. Le tissu clair lui confère un aspect lumineux spectral. Il y a comme une ascension réelle de l'âme. Cette image n'est-elle pas aussi une "image de feu" ? D'après la tradition initiatique peule, "le feu est du ciel, car il monte, tandis que l'eau est de la terre car elle descend en pluie." <ref> '''Amadou Hampate Ba''', ''Kaydara'', document de l'Unesco. </ref>
'''<span id="ancre_9ancre_119">Plan</span> 119-13 :''' '' 56' 43&quot;'': Roublev s'approche d'une étable, il assiste à une scène étrange. Une femme nue sous un [[manteau]], s'amuse à sauter à travers la fumée d'un petit feu, situé au bas d'un [[escalier]]. Elle monte les trois premières marches de l'escalier, se retourne et saute, et cela plusieurs fois. Ici, nous rejoignons la thèse bachelardienne par rapport aux théories de James Frazer. (...) "Voici le dilemme : fait-on les feux pour adorer le bois, comme le croit Frazer, où brûle-t-on le bois pour adorer le feu, comme le veut une explication plus profondément animiste ? (…) Cette dernière interprétation éclaire bien des détails des "fêtes de feu" qui restent inexpliquées dans l'interprétation de Frazer. (…) Frazer nous représente tous les jeunes gens "sautant par-dessus les cendres pour obtenir une bonne récolte ou pour faire dans l'année un bon mariage. Pourquoi (p. 464.) est-ce "la plus jeune mariée du village (qui) doit sauter par-dessus le feu ?" "Pourquoi en Irlande (p. 490.) Lorsqu’une jeune fille saute trois fois en avant et en arrière par-dessus le feu, (dit-on) qu'elle se mariera bientôt, qu'elle sera heureuse et qu'elle aura beaucoup d'enfants ? etc. <ref>'''Gaston Bachelard''', ''Psychanalyse du feu'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_14|op. cit.]]'', pp. 66 sq. </ref>
Nous sommes là, de plain-pied, dans le côté versant [[Superstition|superstitieux]] du feu. Nous remarquons que les observations pertinentes de Bachelard, s'appliquent, finalement, en grande partie à tout concept de nature superstitieuse. Cependant la grande question qui se pose, est celle de savoir si une superstition a besoin de preuve ? Est-ce qu'une superstition s'adresse directement à la raison ? Dans sa nature même, celle d'être une croyance locale, ne devient-elle pas un concept d'un instinct raisonné ? N'est-ce pas cela même le grand paradoxe de la superstition ? Toutefois, il faut observer, par rapport à une grande partie des faits superstitieux, qu'il y a souvent une base formelle qui est constamment sous-jacente dans sa conception. C'est à partir d'une accumulation de constats formels qu'on espère dégager, dans la mesure du possible, quelques faits significatifs sur la superstition. Un élément de réponse est donné par une décomposition de la figure en question. Certes, le feu c'est du bois en combustion, mais c'est aussi de la fumée : "Les feux de la saint Jean se caractérisent volontairement par l'abondance de la fumée." <ref> '''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 795. </ref> (...) "La fumée symbolise les relations entre la terre et le ciel, celle du sacrifice ou de l'encens, elle élève vers Dieu la prière et l'hommage." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 470. </ref> En Chine et au Tibet, "la fumée élève l'âme vers l'au-delà : aussi l'incinération des Taoïstes était-elle un moyen de délivrance." Chez les Indiens d'Amérique, les fumées rituelles sont purificatrices. Les Aborigènes d'Australie croient que la fumée porte-bonheur. Etc." <ref>'''Éloïse Mozzani,''' ''Le livre des Superstitions,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 794. </ref>
Ainsi pour revenir au squelette du film.
'''<span id="ancre_10ancre_120">Plan</span> 120-14 :''' '' 57' 07&quot;'' : Andreï Roublev regarde la scène de la femme qui saute sur la fumée. (Cf. '''Photogramme – Feu-fumée 3.''')
<span id="ancre_10pancre_120p"></span>[[Fichier:feup4.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu-fumée 3 : ''Andreï Roublev'', '''Plan 119120'''. Une jeune femme qui saute à travers une fumée, après avoir monter un petit escalier.]]
Il est surpris par trois moujiks malveillants : « ''Passez-moi les rênes'' » dit un moujik. Ils le mettent en croix, les bras ficelés solidement. « ''Comme le christ'' », dit un autre moujik ! Roublev demande le supplice extrême : « ''Je veux la tête en bas.''»
'''<span id="ancre_11ancre_121">Plan</span> 121-14 :''' '' 58' 19&quot;'' : Travelling de l'intérieur sur deux moujiks qui se déplacent de gauche à droite. A la fin du travelling, une femme nue (vraisemblablement celle qui sautait l'escalier, elle n'était pas loin) regarde Roublev. Plan dynamique. Elle se détache de l'[[ombre]] et elle avance vers le crucifié et lui dit : « ''Pourquoi voulais-tu la tête en bas ?''» Gêné par la nudité de la jeune femme, Andreï Roublev répond : « ''C'est un péché de courir nu.''» Cette question et sa réponse déviée, semblent offrir le visage psychologique de Roublev. Ce petit dialogue constitue une synthèse partielle. Il conclut, en quelque sorte, un certain nombre de figures que nous avons vu : l'[[inversion]], la [[croix]], les [[Pied|pieds]]. Soulignons que la figure de la tête en bas est un caractère du bouffon (plans II 26-5 ; 33-12). De fait, n’y a-t-il pas dans cette figure comme une suggestion d'un pouvoir titanesque, l'homme qui porte la terre : « l'homme Atlas » ?
<center>*</center>
====Le feu au fenil ou l’attente brûlante====
'''<span id="ancre_11ancre_6">Plan</span> 6 :''' '' 05' 24&quot;'' : Une jeune femme interprète un double rôle : celui de Maroussia, mère d'Alexeï (Aliocha), le narrateur du film, et celui de Natalia, épouse d'Alexeï et mère d'Ignat qui est le fils du narrateur. C'est Maroussia qui est assise sur une [[clôture]] en bois à l'allure incertaine et branlante. Elle fume une [[cigarette]]. Elle regarde au loin vers des étendues de champs verdoyants. Panoramique général. D'emblée, deux éléments de la thématique tarkovskienne sont annoncés : l'[[attente]] et la limite <ref>Cf. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 25 ; 254. </ref> (la clôture).
Nous l'avons vu, le thème de l'attente est un thème majeur dans le cinéma de Tarkovski. Au plan 6, cette figure féminine de l'attente rappelle par moment la "figure de Pénélope". Mais contrairement à Pénélope, et pour tromper l'attente, Maroussia ne se livre pas au tissage, mais à l'action de fumer une cigarette, à l'action de brûler petit à petit le temps et de le transformer en fumée. La cigarette devient par la même occasion le premier indice imperceptible mais tangible du "feu" qui, comme nous allons le voir, a une importance capitale.
====Chat noir et verre de lampe à pétrole====
'''<span id="ancre_12ancre_18">Plan</span> 18 :''' '' 13' 08&quot;'' : Plan rapproché sur Maroussia qui pleure. Un homme crie à l'extérieur. Maroussia sort, les enfants restent à table. Elle revient, elle leur dit : "Le feu, mais ne hurlez pas." Les enfants se précipitent dehors. Mais la caméra ne suit pas les enfants.
'''<span id="ancre_13ancre_19">Plan</span> 19 :''' '' 13' 53&quot;'' : L'image est immobile. Plan rapproché sur la [[table]]. La caméra est fixe en plongée. Tout à coup, le verre d'une lampe à pétrole vacille, tombe par terre. Le verre sort un instant de l'image en roulant et se stabilise ensuite sans se casser. [[Verre|Lire la suite]].
Dans le même mouvement de la séquence, les enfants passent, fugacement, devant un miroir, s'arrêtent au pied de la porte pour voir le feu au fenil, et Klanka sort de derrière le miroir. (Cf. '''Photogramme – Feu 4.''')
<span id="ancre_19bp"></span>[[Fichier:feup8.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 4 : ''Miroir (Le)'', '''Plan 19b'''. Le reflet des enfants dans un miroir, Klanka qui sort de derrière le miroir.]]
A l'extérieur, au :
'''<span id="ancre_14ancre_20">Plan</span> 20 :''' '' 14' 45&quot;'' : Maroussia avance vers un puits, elle saisit un seau d'eau suspendu, elle s'asperge le visage, et s'assied au bord du puits pour observer le fenil en feu. (Cf. '''Photogramme – Feu 5.''')
<span id="ancre_20"></span>[[Fichier:feup5.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 5 : ''Miroir (Le)'', '''Plan 20'''. Le fenil en feu.]]
Le dernier indice est un signe complexe. Ne s'agit-il pas d'un signe sexuel ? Un signe hermaphrodite ? D'abord par sa forme : un long tube en verre renflé dans sa partie supérieure. C'est un signe "transparent". Ensuite, il installe une liaison directe avec "Le fenil en feu." C'est d'abord, grâce au mouvement de la caméra au moment où le verre tombe. Nous avons, en effet, un mouvement continu qui s'amorce avec la lampe à pétrole éteinte, avec son verre détaché, et se termine avec le feu gigantesque du fenil. C'est ensuite, une seconde liaison avec le petit appareil de chauffage de l'épisode suivant "le [[Rêve]] d'Aliocha", dans lequel le feu, au départ une simple lueur, va jaillir en flamme, pour finalement s'éteindre. Soulignons qu'à ce moment-là, la mère est avec son mari. Et ici, la lampe éteinte qui finit avec le fenil en feu. N'est-on pas en présence d'une [[métaphore]] du cheminement du mariage ? Précisons encore que le premier appareil, le verre de la lampe à pétrole, sert à éclairer alors que le second (dans l'épisode suivant) sert à chauffer. Un autre témoignage c'est le plan en insert, fugace, à la fin du "Rêve d'Aliocha" : le dos d'une [[main]] qui se chauffe devant un feu. (Cf. '''Photogramme – Feu 6.''')
<span id="ancre_28p"></span>[[Fichier:feup6.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 6 : ''Miroir (Le)'', '''Plan 28'''. La main en insert qui se chauffe à un bout de bois incandescent.]]
C'est grâce à ce type de formalisme métonymique que Tarkovski construit, à l'intérieur de ses figures cinématographiques, des structures qui permettent le développement de voies parallèles, et la multiplication de codes de lecture.
====Variation d’éclairage, le mythe du sphinx et l'énigme du coq====
'''<span id="ancre_15ancre_124">Plan</span> 124 :''' '' 1h 05' 22&quot;'' : Natalia (la mère d’Ignat) regarde des photos. Elle discute avec son ex-mari, à propos d'un autre homme qu’elle a rencontré, et qu'elle hésite à épouser : « ''dois-je l'épouser ?'' » demande-t-elle à son ex-mari. L'épisode ressemble à l'épisode de "La question espagnole", à ceci près qu'il y a un jeu savant de la lumière sur le visage de Natalia. En effet, au début, un éclairage intense illumine momentanément son profil gauche, ensuite c'est au tour du profil droit (plan 126). Dans le même plan, l'éclairage change encore, il est de face, il s'obscurcit quelques secondes au moment où Ignat entre dans le champ visuel, pour à la fin, s'amplifier et devenir plus intense qu'auparavant. Ce jeu de lumière indique les différents degrés du doute que Natalia traverse. La caméra effectue un zoom avant pour se placer devant une fenêtre, par laquelle nous observons Ignat dans une cour, près d'un petit feu. La mère dit : « ''regarde, notre cher cancre a brûlé quelque chose.'' » Ce feu mérite une attention particulière, car il est situé avant le fil de la discussion entre les parents, à propos du [[Buisson]] ardent :
'''<span id="ancre_16ancre_126">Plan</span> 126 :''' '' 1h 11' 42&quot;'' :<br/>
- Natalia : « ''Te souviens-tu, à qui l'ange parut comme un buisson ardent ?'' »<br/>
- Alexeï (en voix-off) : « ''Non, en tout cas, pas à Ignat.'' » (Après quelques secondes de silence.) « ''C'est à Moïse que l'ange a paru.''»<br/>
_ Natalia : « ''Pourquoi, jamais rien de tel ne m'apparaît ?''»
'''<span id="ancre_17ancre_127">Plan</span> 127 :''' '' 1h 12' 36&quot;'' : Après la rèplique de la mère, apparaît le plan en [[insert]] du buisson soufflé par le [[vent]]. (Plan 12, 3ème représentation de l'insert.) D'autre part, un regard attentif sur le feu d'Ignat suggère "un effet d'ouverture", une forme "en cage", comme si la structure de l'élément en combustion rappelait une espèce "d'oiseau qui brûle". (Cf. '''Vignette, Photogramme Feu 7.''') Mais la question qui se pose, est celle de savoir si justement c'est un oiseau qui brûle. Ou un [[oiseau]] qui renaît ? Ne serait-ce pas en fin de compte, le mythe du sphinx qui est présenté par déviation ? (Cf. '''Photogramme – Feu 7.''')
<span id="ancre_124p"></span>[[Fichier:feup7.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 7 : ''Miroir (Le)'', '''Plan 124'''. Le feu qui brûle, ne serait-il pas une représentation symbolique du mythe du sphinx ? (Cf. la vignette.)]]
D'autres propos en voix-off du père convergent vers notre hypothèse. Ils sont situés avant le feu d'Ignat. « ''Le poète doit bouleverser l'âme, non pas former des idolâtres.''» L'image du feu est bouleversante, car elle "marche à l'envers", comme tout le jeu de l'éclairage, qui [[Annonciateur(signe)|annonce]] indirectement un feu animalisé, par l'aspect changeant du feu, qui n'est pas uniforme. C'est comme un feu en miroir. D'autres arguments vont venir appuyer notre hypothèse à propos du feu d'Ignat. Pour le moment, nous dévoilons quelques indices en attendant le moment opportun. Une autre image « marche à l'envers », au cours de cet épisode, c'est un événement qui va nous intéresser, quand le père dit en voix-off : « ''je revois régulièrement le même rêve.''»
'''<span id="ancre_18ancre_128">Plan</span> 128 :''' '' 1h 12' 42&quot;'' : Changement de cadre, retour à la maison de l'enfance, celle du premier épisode « Le fenil en feu ». C'est le jour. Klanka (une voisine) décroche du plafond une lampe à pétrole. C'est ainsi que petit à petit, les éléments se mettent en place, et en ordre. C'est un indice de plus à propos de notre hypothèse du feu. Le père continue son [[rêve]] : « ''On dirait qu'il veut'' (le rêve) ''me ramener de force à ces lieux chers et pleins d'amertume où je suis né il y a 40 ans, juste sur la table. Quelque chose m'empêche d'entrer dans la maison. (…) Tout est encore à venir, tout est encore possible.''» La [[table]] en question c'est la table sur laquelle monte la jeune fille pour décrocher la lampe à pétrole, et qu'elle dépose. C'est la même table des [[plans 16]] et [[17]], avec la séquence de la chute du [[verre]] de la lampe à pétrole, dont on a vu à plusieurs reprises l'extrême importance.
'''<span id="ancre_19ancre_129">Plan</span> 129 :''' '' 1h 14' 22&quot;'' : Passage en noir et blanc. Aliocha, enfant de 5 ans, marche autour de la maison. Il appelle « ''maman'' ». Tout à coup :
'''<span id="ancre_20ancre_130">Plan</span> 130 :''' '' 1h 15' 10&quot;'' : La vitre d'une fenêtre se casse en deux.
'''<span id="ancre_21ancre_131">Plan</span> 131 :''' '' 1h 15' 12&quot;'': Un [[coq]] surgit à l'extérieur. (Cf. '''Photogramme – Coq 1.''')
<span id="ancre_131p"></span>[[Fichier:coqp1.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Coq 1 : ''Miroir (Le)'', '''Plan 131'''. Le coq qui surgit de la fenêtre et casse la vitre en deux.]]
'''<span id="ancre_22ancre_132">Plan</span> 132 :''' '' 1h 15' 20&quot;'' : Retour sur le [[buisson]] soufflé par le vent (Plan 12, 4ème représentation.), mais contrairement aux plans précédents, il n'est plus en insert, il propose une suite : travelling gauche vers une table disposée au milieu d'un champ, sur laquelle sont disposées une pierre et une lampe à pétrole, qui sont soulevées par la force du vent. La lampe tombe au sol. ''(Cf. Photogramme – Verre 4. )''
'''<span id="ancre_23ancre_133">Plan</span> 133 : ''' ''1h 15' 49&quot;'' : Changement de décor. Aliocha enfant court derrière la maison de campagne. Nous apercevons derrière lui et à l'arrière plan le [[puits]]. Aliocha monte un petit escalier qui mène à une [[porte]], il essaye en vain de l'ouvrir, il redescend. La porte s'ouvre toute seule ! Dans une pièce sombre, Maroussia est accroupie, tenant dans ses mains des pommes de terre, un [[chien]] est à ses côtés. L'épisode clôt sur un plan en insert étrange : une forme qui ressemble à une [[vache]] qui gît sur un champ ?
Nous assistons en fait au [[rêve]] du père découpé en plusieurs parties. Il est d'abord annoncé par la voix-off du père : « ''je revois régulièrement le même rêve… Quelque chose m'empêche d'entrer à la maison.''» La maison signifie le foyer, la protection familiale, la chaleur humaine, le don de soi. Il reste à l'extérieur. Curieusement, un [[coq]], qui en principe a sa place à l'extérieur, est à l'intérieur. Sa sortie est fracassante, par une fenêtre, par un passage inhabituel. Il casse la vitre en morceaux, comme s'il cassait un couple en morceaux. La figure du coq dans cette représentation est énigmatique, comme le rêve lui-même.
C’est l’épisode des [[Bijou|Bijoux]]qui tombent chez Nadejda Petrovna. Aliocha assis, attendait sa mère. Il avait à sa droite, "un aspect de sa mère", et à sa gauche, "un reflet de lui-même". Grâce au [[miroir]], nous avons traversé le temps, pour rejoindre la rousse que le père aimait quand il avait son âge. Le feu commence et clôt la séquence de la rousse, à l'intérieur de l'épisode. Quant à Aliocha perdu dans sa contemplation, il est ramené de ses rêveries à la réalité au :
'''<span id="ancre_24ancre_151">Plan</span> 151 :''' '' 1h 22' 42&quot;'' : par le son d'une lampe à pétrole [[Hésitation|vacillante]]. La lampe vacille trois fois et s'éteint. La vacillation de la lampe, comme le jeu de lumière sur sa mère, indique aussi la variation de l'état d'âme d'Aliocha : oscillation entre le père et la mère.
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Du plan 84 au plan 90, c’est la séquence de l’[[apparition]] de la petite Angela. (Voir : [[Eau]], [[Plume]].)
'''<span id="ancre_25ancre_87a">Plan</span> 87a :''' '' 1h 20' 25&quot;'' : Le Poète est saoul. Lui, d'habitude si réservé, si laconique, se met à parler sans arrêt. Il commence par raconter une histoire à la petite fille (Voir : [[Poteau]]) Il veut se débarrasser de la [[cigarette]] suspendue à sa bouche, mais, cette dernière étant humide, le bout de la cigarette se détache du filtre, qui reste collé dans sa bouche. Ce bout de cigarette ne suggère-t-il pas le bout de la [[bougie]] ?
'''<span id="ancre_26ancre_92">Plan</span> 92 :''' '' 1h 25' 10&quot;'' : Second panoramique droite/gauche et gros plan de la tête du Poète allongé, près du feu. La caméra dépasse la tête du Poète et cadre le feu. (Cf. '''Photogramme – Feu 8'''.)Transition avec "le rêve du Poète".
<span id="ancre_91p"></span>[[Fichier:feup1.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 8 : ''Nostalghia'', '''Plan 91'''. Le panoramique droite/ gauche qui dépasse la tête du Poète, et fixe le feu. Soulignons le passage « tête &rarr; feu » .]]
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(Voir : [[Bougie]])
'''<span id="ancre_27ancre_108n">Plan</span> 108 : ''' ''1h 43' 35&quot;'' : Plan rapproché sur le «Fou à cheval». Un collègue du «Fou», tient un bidon d'essence dans la main. Il monte l'échafaudage et donne le bidon au «Fou»(plan 109a). «Le Fou» s'asperge d'essence (110). «Le Fou» allume le briquet (113). (Cf. '''Photogramme Feu 9'''.)
<span id="ancre_113np"></span>[[Fichier:chevalfeup1.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 9 : ''Nostalghia'', '''Plan 113'''. Le Fou à cheval en feu.]]
'''Bagno-Vignoni''': La traversée de la piscine de Sainte Catherine.
'''<span id="ancre_28ancre_119n">Plan</span> 119 : ''' ''1h 48' 18&quot;'' : Le Poète allume la petite [[bougie]], celle que le «Fou» lui a donnée. Il commence d'abord par toucher le bord de la piscine (119b). Aussitôt qu'il a fait quelques pas, la bougie s'éteint (119c). Il allume la bougie une seconde fois, il ouvre son [[manteau]], et abrite la flamme de la bougie du vent. (119 e) Ce n'est qu'à la troisième tentative qu'il réussit à avancer, sans que la bougie s'éteigne. (Cf. '''Photogramme Feu-bougie 10'''.)
<span id="ancre_119hp">Plan</span>[[Fichier:bougiep2.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu-bougie 10 : ''Nostalghia'', '''Plan 119h'''. Le poète protège la flamme de la bougie avec son manteau.]]
Il arrive enfin au bord opposé de la piscine, il est extrêmement épuisé, il s'agrippe à un petit [[escalier]] métallique.<ref>C'est grâce à ce plan (et au plan 27d, p. 55) que le cinéaste montre les problèmes de santé du Poète. Il est cardiaque et mourra au bout de sa mission. </ref> (119i) Il réussit à fixer la bougie sur le bord de la piscine. Il pousse un petit cri, et s'effondre. (119 j)
'''<span id="ancre_29ancre_120n">Plan</span> 120 :''' '' 1h 56' 58&quot;'' :Contre-champ du plan précédent. Une petite [[foule]] est amassée devant la piscine qui assiste à l'accomplissement du «mystère de Sainte Catherine». Le conducteur de Taxi court vers son «client».
'''<span id="ancre_30ancre_121n">Plan</span> 121 : ''' ''1h 57' 06&quot;'' :Gros plan de la bougie allumée.
(Voir : «[[Nostalghia#L'importance des objets : aspect de miniaturisation/monumentalisation |miniaturisation/monumentalisation]]».)
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C’est le début du film, le [[#Aspects extra-filmiques ; Que veut dire "Stalker" ? |stalker]] se prépare pour aller dans la Zone.
'''<span id="ancre_31ancre_8">Plan</span> 8 :''' '' 08' 25&quot;'' : Le Stalker passe à la cuisine, il allume un chauffe-eau à gaz. Soudain, l'[[ampoule]] accrochée à un mince fil, au centre de la pièce, s'allume. "L'ampoule s'illumine un bref instant avant d'imploser.»
'''<span id="ancre_32ancre_9">Plan</span> 9 : ''' ''09' 15&quot;'' : « En contre-champ, la femme qui tient encore le fil de l'ampoule.» L'image n'est-elle pas [[Thèse:Résumé|cinémantique]] ? N'annonce-t-elle pas l'éphémère, l'instantané ? C'est une représentation de la brève réaction de la femme du Stalker, qui découvre en une seconde dans toute sa lumière, l'éclatante vérité du départ du Stalker pour la «Zone». Elle tient à présent, un fil électrique au bout duquel ne règne que l'obscurité. Elle dit au Stalker : «''Pourquoi as-tu pris mon réveil ? Dis où est-ce que tu vas ? Tu m'avais pourtant juré…''»
'''<span id="ancre_33ancre_10">Plan</span> 10 :''' '' 09' 54&quot;'' : Le Stalker se brosse les dents, il dit à sa femme, imperturbable : « ''Chut ! Tu vas réveiller Ouistiti !''» Il continue à se brosser les dents. A gauche du cadre, les flammes du chauffe-eau. L'image, ici, suggère le feu de la [[détermination]] qui habite le Stalker. La permanence du feu s'oppose à l'éclair instantané de la lampe qui implose. Si cette dernière représente sa femme, la première représente le Stalker. De plus, l'une éclaire, l'autre chauffe. <ref> Cette idée ou ce couple feu/lumière est proposé dans le 1er épisode du [[Miroir (Le)|Miroir]], « Le Feu au Fenil» avec le [[verre]] de la lampe à pétrole et le feu au fenil. Ici, les rapports ne sont pas de la même envergure, puisque la vie familiale est entre parenthèses dans Stalker (disposé au début et à la fin du film), tandis que dans Le Miroir la famille est le centre du film. C'est aussi d'autre part, un cas de "[[résonance]] latéral".</ref>Le Stalker [[Crachat|crache]] de l'[[eau]], se retourne et s'essuie la bouche avec une [[serviette]].
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