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Feu

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[[Fichier:feup3.jpg|200px|thumb|right|Photogramme Feu 2 : ''Andreï Roublev'', '''Plan 117b'''. L'étrange procession de la petite barque.]]
Le titre de "Dadouques" donné à l'un des principaux prêtres d'Eleusis signifie "Porte-torche". La torche semble indiquer un symbole de purification et d'illumination. (…) "Elle est la lumière qui éclaire la traversée des Enfers (Perséphone) et les chemins de l'érudition. <ref>'''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 956. </ref> Les innombrables rites de purification par le feu sont manifestes, de l'occident au Japon, en passant par la Chine, l'Inde, les Aztèques, les Bambaras, les Celtes, etc. Généralement ces rites de passage sont caractéristiques de cultures agraires : (…) "Ils symbolisent, les incendies des champs qui se parent ensuite d'un manteau vert de nature vivante." <ref> '''R. Guenon''', ''Symboles fondamentaux de la science sacrée'', ''Op[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' </ref> Mircea Eliade note la signification sexuelle du feu qui est, "universellement liée à la première technique du feu par frottement, en va et vient, image de l'acte sexuel." <ref>'''Mircea Eliade''', ''Forgerons et Alchimistes'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'', p. 41. </ref> Cependant il précise que le feu a un caractère ambivalent : (...) "Il est d'origine soit divine, soit démoniaque (car d'après certaines croyances archaïques, il s'engendre magiquement dans l'organe génital des sorcières.) (Ibid.) Gilbert Durand observe que la sexualisation du feu est "nettement soulignée par les nombreuses légendes, qui situent le lieu naturel du feu dans la queue d'un animal." <ref> ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|Opop. cit.]]'' pp. 360-361. </ref> Une illustration de cette image est le plan de la queue enflammée de l'âne dans ''Au hasard Balthasar'' , de [[Robert Bresson]].
La question du feu est vaste, au niveau de sa figure archétypale. <ref> Cf. '''Christian Roche et Jean-Jacques Barrère''', ''Le feu'', Editions du Seuil, Paris, 1999. Eric Golay (sous la responsabilité de), Editeur : musée d'ethnographie de Genève, 1999. </ref> Nous le verrons dans [[Le Miroir]]. Elle est aussi en profondeur dans cette séquence. Nous allons y revenir, mais pour le moment nous ne devons pas négliger un autre plan étrange qui suit directement la petite barque de procession. En effet, dans le '''[[#ancre_8|plan 117]]''', les hommes et les femmes sont nus face à face. Dans le plan en question :
'''<span id="ancre_10a">Plan</span> 118-12 :''' '' 56' 28&quot;'' : Nous distinguons avec une certaine difficulté, dans une clairière, un homme (ou une femme) debout sur un autre homme. Ils se couvrent ensuite de haut en bas d'une longue tunique de tissu clair : comme un fantôme de la nuit ! C'est l'image d'un géant de plus de trois mètres qui semble avoir un certain sens par rapport aux deux plans qui le précédent : la robe en feu et la petite barque. Par sa forme nettement phallique, c'est, si l'on ose dire, une érection physique de l'esprit, car c'est comme si la partie supérieure de l'homme, la tête, grandissait démesurément. Un sexe géant qui s'accouple avec la forêt. Le tissu clair lui confère un aspect lumineux spectral. Il y a comme une ascension réelle de l'âme. Cette image n'est-elle pas aussi une "image de feu" ? D'après la tradition initiatique peule, "le feu est du ciel, car il monte, tandis que l'eau est de la terre car elle descend en pluie." <ref> '''Amadou Hampate Ba''', ''Kaydara'', document de l'Unesco. </ref>
'''<span id="ancre_9">Plan</span> 119-13 :''' '' 56' 43&quot;'': Roublev s'approche d'une étable, il assiste à une scène étrange. Une femme nue sous un [[manteau]], s'amuse à sauter à travers la fumée d'un petit feu, situé au bas d'un [[escalier]]. Elle monte les trois premières marches de l'escalier, se retourne et saute, et cela plusieurs fois. Ici, nous rejoignons la thèse bachelardienne par rapport aux théories de James Frazer. (...) "Voici le dilemme : fait-on les feux pour adorer le bois, comme le croit Frazer, où brûle-t-on le bois pour adorer le feu, comme le veut une explication plus profondément animiste ? (…) Cette dernière interprétation éclaire bien des détails des "fêtes de feu" qui restent inexpliquées dans l'interprétation de Frazer. (…) Frazer nous représente tous les jeunes gens "sautant par-dessus les cendres pour obtenir une bonne récolte ou pour faire dans l'année un bon mariage. Pourquoi (p. 464.) est-ce "la plus jeune mariée du village (qui) doit sauter par-dessus le feu ?" "Pourquoi en Irlande (p. 490.) Lorsqu’une jeune fille saute trois fois en avant et en arrière par-dessus le feu, (dit-on) qu'elle se mariera bientôt, qu'elle sera heureuse et qu'elle aura beaucoup d'enfants ? etc. <ref>'''Gaston Bachelard''', ''Psychanalyse du feu'', ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_14|op. cit.]]'', pp. 66 sq. </ref>
Nous sommes là, de plain-pied, dans le côté versant [[Superstition|superstitieux]] du feu. Nous remarquons que les observations pertinentes de Bachelard, s'appliquent, finalement, en grande partie à tout concept de nature superstitieuse. Cependant la grande question qui se pose, est celle de savoir si une superstition a besoin de preuve ? Est-ce qu'une superstition s'adresse directement à la raison ? Dans sa nature même, celle d'être une croyance locale, ne devient-elle pas un concept d'un instinct raisonné ? N'est-ce pas cela même le grand paradoxe de la superstition ? Toutefois, il faut observer, par rapport à une grande partie des faits superstitieux, qu'il y a souvent une base formelle qui est constamment sous-jacente dans sa conception. C'est à partir d'une accumulation de constats formels qu'on espère dégager, dans la mesure du possible, quelques faits significatifs sur la superstition. Un élément de réponse est donné par une décomposition de la figure en question. Certes, le feu c'est du bois en combustion, mais c'est aussi de la fumée : "Les feux de la saint Jean se caractérisent volontairement par l'abondance de la fumée." <ref> '''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 795. </ref> (...) "La fumée symbolise les relations entre la terre et le ciel, celle du sacrifice ou de l'encens, elle élève vers Dieu la prière et l'hommage." <ref>'''Chevalier/Gherrbrant''', ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 470. </ref> En Chine et au Tibet, "la fumée élève l'âme vers l'au-delà : aussi l'incinération des Taoïstes était-elle un moyen de délivrance." Chez les Indiens d'Amérique, les fumées rituelles sont purificatrices. Les Aborigènes d'Australie croient que la fumée porte-bonheur. Etc." <ref>'''Éloïse Mozzani,''' ''Le livre des Superstitions,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 794. </ref>
Grâce aux quelques figures que nous avons traitées, nous constatons qu'un point est désormais constant dans l'approche anthropo-psychologique des figures : l'aspect ambivalent et paradoxal d'une proposition figurative. Cela, mérite une explication. Nous avons déjà précisé qu'une figure doit être constamment replacée dans le contexte de sa situation générale, dans l'espace et dans le temps. C'est par une confrontation d'une présence multiple, c'est-à-dire à plusieurs moments, qu'un certain sens est susceptible d'être dégagé. Mais après tout, est-ce uniquement le sens qui est visé dans une signification ? Ce qui nous semble être le plus pertinent, ce n'est pas de savoir, si un sens signifie ceci ou cela, (cela ne nous avance que de peu de chose), mais c'est plutôt de sentir le trajet du sens. En effet, si, comme nous venons de le dire, la figure est importante dans sa double situation générale, l'ensemble des figures proposées et, si l'on ose s'exprimer ainsi, leurs confrontations, l'est encore davantage. C'est alors cela qui constitue le "squelette du film", l'articulation des "vertèbres/figures" qui sont alors, d'une façon ou d'une autre, quasiment [[Thèse:Résumé|cinémantique]].
====Le feu au fenil ou l’attente brûlante====
'''<span id="ancre_11">Plan</span> 6 :''' '' 05' 24&quot;'' : Une jeune femme interprète un double rôle : celui de Maroussia, mère d'Alexeï (Aliocha), le narrateur du film, et celui de Natalia, épouse d'Alexeï et mère d'Ignat qui est le fils du narrateur. C'est Maroussia qui est assise sur une [[clôture]] en bois à l'allure incertaine et branlante. Elle fume une [[cigarette]]. Elle regarde au loin vers des étendues de champs verdoyants. Panoramique général. D'emblée, deux éléments de la thématique tarkovskienne sont annoncés : l'[[attente]] et la limite <ref>Cf. '''G. Deleuze''', tome 1, ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_4|op. cit.]]'', pp. 25 ; 254. </ref> (la clôture).
Nous l'avons vu, le thème de l'attente est un thème majeur dans le cinéma de Tarkovski. Au plan 6, cette figure féminine de l'attente rappelle par moment la "figure de Pénélope". Mais contrairement à Pénélope, et pour tromper l'attente, Maroussia ne se livre pas au tissage, mais à l'action de fumer une cigarette, à l'action de brûler petit à petit le temps et de le transformer en fumée. La cigarette devient par la même occasion le premier indice imperceptible mais tangible du "feu" qui, comme nous allons le voir, a une importance capitale.
==Symbolisme==
Gilbert Durand distingue avec Bachelard, deux directions ou deux constellations psychiques dans la symbolique du feu, suivant qu'il est obtenu, soit par percussion, soit par frottement : (…)« Dans le premier cas, il s'apparente à l'éclair et à la flèche et possède une valeur de purification et d'illumination ; il est le prolongement igné de la lumière. ''Pur'' et ''feu'' ne sont en sanscrit qu'un même mot (''lumière'' et ''feu'' en grec, à une syllabe près ; ''jour'' et ''feu'' en arabe, à une syllabe près.) Il s'oppose au «feu sexuel», obtenu par friction, comme la flamme purificatrice s'oppose au centre génital du foyer matriarcal, comme l'exaltation de la lumière céleste se distingue d'un rituel «de fécondité agraire».<ref>'''Gilbert Durand''', ''Les structures anthropologiques de l'imaginaire,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]''pp.195-196. </ref>
== Notes et références ==