Stalker
Aspects techniques du film
Stalker : D'après le roman d'Arkadi et Boris Strougatski, Pique-nique au bord du chemin.
Titre pressenti, La Machine à vœux.
Réalisation : Andreï Tarkovski.
Année de réalisation 1979.
Genèse de l'idée : 26 janvier 1973.
URSS. 161 minutes. Couleurs. Production : Mosfilm, unité de production 2.
Scénario : Arkadi et Boris Strougatski et Andreï Tarkovski.
Directrice de production : Alla Demidova.
Assistants de réalisation : Maria Tchougounova et E. Tsimbal.
Régie : Larissa Tarkovski.
Images : Alexandre Kniajinski.
Son : V. Sharun.
Direction artistique : Andreï Tarkovski.
Montage : Ludmila Feganova.
Décors : A. Merkoulov et Andreï Tarkovski.
Costumes : Nelly Fomina.
Musique : Edouard Artemiev, dirigé par E. Khatchatourian.
Poèmes d'Arseni Tarkovski et de Fiodor Tiouttchev.
Acteurs :
• Stalker : Alexandre Kaïdanovski.
• L'Écrivain : Anatoli Solonitsyne.
• Le Professeur : Nikolaï Grinko.
• La femme du Stalker : Alissa Freindlich.
Aspects extra-filmiques ; Que veut dire "Stalker" ?
Dans le film Stalker , le Stalker est un personnage clé. Il est la clé de la Zone : (…) "Un no man's land gardé par des militaires et qui contient la "Chambre des Désirs", capables d'exaucer les vœux de ceux qui y parviennent. Mais l'accès en est interdit et seul quelques guides - "les stalkers"- en connaissent le chemin. Un écrivain et un physicien, [1] demandent à un stalker de les y conduire." [2] Ainsi, le terme Stalker soulève des ambiguïtés dues précisément à la triple alliance du terme : il est le titre du film, la fonction et le nom d'un personnage, enfin, il suggère une palette de terminologie anglo-saxonne : d'ordinaire, le mot Stalker est un nom anglais, masculin, qui désigne un "chasseur à l'approche." [3] Le mot "stalk" a trois sens différents. [4] Pourquoi Andreï Tarkovski a-t-il choisi ce nom pour son personnage ? En regardant l'évolution de la genèse du film nous allons voir que la décision de choisir un nom (ou un mot) est parfois un long travail. Il a fallu presque trois années pour privilégier le nom Stalker. Grâce à ce détail, un nom, nous assisterons à la genèse du film. De plus, les interminables attentes que Tarkovski a du subir entre chaque film ont contribué certainement à donner plus de poids au film en chantier. L'attente est par ailleurs, un puissant révélateur cinémantique : là où il y a attente, il y a des possibilités d'observations d'actes ou d'actions cinémantiques. Ainsi, le premier moment inscrit dans le Cahier Journal de Tarkovski, à propos du film Stalker, date de 1973. Il n'y a pas plus qu'une phrase.
Stalker dans le Cahier Journal de Tarkovski (1973 - 1979)
1973
Le 26 janvier : (...) "Je viens de lire la nouvelle fantastique des Strougatski. (…) On pourrait aussi en faire un formidable scénario." Il faut attendre ensuite deux ans, avant de le voir s'intéresser à ce scénario. C'est le moment où il vient de terminer Le Miroir.
1974
Le 26 décembre : (...) "L'idée d'un film "sur Dostoïevski" pourrait être très bien venue pour moi. (…) Quelque chose pourrait trouver chez moi une forme très harmonieuse, ce serait un film d'après les Strougatski : dans une action continue, détaillée, mais équilibrée et purement idéale, donc semi-transcendante, absurde, absolue. (…) 1. Deux acteurs. 2. Unité de lieu. 3. Unité d'action. 4. On observerait la nature heure après heure, suivant la tombée et le lever du jour. (…) Moi, ce que je voudrais, c'est un alliage qui résonne pleinement : une confession pleine d'émotion, de sentiments simples et forts, et un effort pour poser de grandes questions philosophiques et éthiques liées au sens de la vie." [5] A cette époque, Andreï Tarkovski hésite entre Dostoïevski et les Strougatski. [6] D'ailleurs, le premier auteur est constamment cité dans son plan de travail. [7] Cet intérêt constant pour Dostoïevski réside sans doute dans la puissance dramatique de la trame narrative, et dans la pénétration de l'écrivain russe dans la nébuleuse de la psychologie humaine, dans un temps relativement court, de l'ordre de quelques jours. [8] Cependant Tarkovski va réussir l'exploit de faire une synthèse entre Dostoïevski et les Strougatski. Avec les Strougatski il est séduit par l'idée de l'espace et du décor de la Zone, [9] avec Dostoïevski il est attiré par la peinture minutieuse de l'âme humaine. Mais, à ce jour là, Andreï Tarkovski ne sait toujours pas quel sujet il va traiter. Quelques jours plus tard :
1975
Le 6 janvier : Il écrit à Ermach [10] pour prendre des décisions au sujet de son travail. Quatre films sont en évidence : " L'Idiot, Dostoïevski, La mort d'Ivan Ilitch, Le Pique-nique" , seulement, il va falloir trancher la question des Strougatski." (C. J. p. 117.) Deux mois s'écoulent avant de voir les Strougatski.
Le 27 mars : "Je suis allé voir Arkadi Strougatski. Il est très content que je veuille monter "le pique-nique", pour le scénario, on sera trois à égalité." (C. J. p. 122.) Dommage qu'on n'en sache pas plus, car, comme nous allons le voir, le scénario va subir des transformations radicales, et nous ignorons qui est le géniteur onomastique des protagonistes du film.
Le 10 décembre : (...) "La proposition des Strougatski a plu à Sizov. [11] Au ETO [12] ils veulent apparemment "Le pique-Nique". (C. J. p. 129.)
1976
Le 14 décembre : (...) "Stalker, du verbe anglais "to stalk" : Marcher à pas de loup." (C. J. p. 146.) C'est la première apparition et définition du terme Stalker, comme titre de film désignant "Le Pique-Nique".
1977
Le 24 février : (...) "Le tournage à Isfara [13] a été ajourné à la suite du tremblement de terre qui a eu lieu à Chourabe." (…) "Nous venons de filmer l'appartement du Stalker. Il faut maintenant chercher une autre nature extérieure, compter un mois de plus." (C. J. p. 153.) C'est la première apparition du personnage du Stalker.
Le 26 août : (...) "Il s'est passé beaucoup de choses. Des choses catastrophiques." (…) "Tout est stoppé pour un bon mois… Si c'est comme ça, tout sera nouveau: l'opérateur, le décorateur (je vais me risquer avec Chavkat Abdousalamov) [14] et le scénario (en ce moment, Arkadi et Boris Strougatski tentent de réécrire entièrement le scénario, à cause du nouveau Stalker, qui ne doit pas être une sorte de trafiquant de drogue ou de braconnier, [15] mais un serviteur, un croyant, un fidèle de la "Zone"). Il faut tout recommencer à zéro.(…) Il faut envoyer un article à la Pravda au sujet de Mosfilm : "Sur la primauté de la matière et le caractère secondaire de notre conscience."… Parler de cette idée à Sizov, dans une lettre." (C.J. p. 158.)
Nous devons dire un mot sur "La primauté de la matière" Il nous semble qu'elle résume le grand principe qui guide et forme la démarche de Tarkovski. En effet, ses films sont animés par une densité matérielle peu ordinaire, toute sa substance filmique tire de là sa quintessence. D'autre part, nous assistons à la transformation du Stalker du film, par rapport au Stalker du livre, Redrick Shouhart qui est une "âme simple", intéressé par le profit et l'alcool, et guidé par des instincts mercantiles.
1978
Le 7 avril : (...) "A partir de la mi-mai, nous recommençons (pour la énième fois !) le tournage du Stalker." (C. J. p. 161.)
Le 9 avril : (...) "J'ai eu un infarctus. Maintenant il va falloir se soigner pendant deux mois. Stalker est ensorcelé !" (C. J. p. 161.)
1979
Le 10 février : (...) "Peut-être, en effet, que Stalker est mon meilleur film…" (C. J. p. 178.)
En somme, Tarkovski porte le film dans son esprit plus de six ans. Nous constatons que l'évolution du film est lente et progressive. Il procède par juxtaposition, par effacement, par transformation, par adaptation. Contrairement au livre, le film s'articule sur un seul trajet et un aller simple dans la Zone. Mais, nous obtenons quatre moments forts : le départ, le trajet, l'arrivée dans la Zone et devant "la Chambre des Désirs", et enfin, le retour du Stalker chez lui. Nous commençons par le départ pour la Zone.
Stalker, le film plan par plan
Le départ pour la « Zone » : Description, composition et situation (plans 2 – 42)
«…comme les principes rationnels, ou les lois scientifiques, la réalité se conforme à cela, à peu près, mais rappelle-toi le grand mathématicien Poincaré, il n'est pas sûr que les mathématiques soient rigoureusement exactes. »
M. Proust. [16]
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Enquête théophanique ou théophanie d’une enquête :
Le météorite (plan 2)
Comme Citizen Kane d'Orson Welles, comme Les Chevaux de Feu de Sergeï Paradjanov. Stalker est aussi un film qui commence par la chute d'un objet, d'un objet colossal, phénoménal. Un objet qui dépasse jusqu'à présent tout ce que nous avons pu voir, dans l'ordre de grandeur d'un objet : il s'agit d'un météorite, [17] qui donne d'emblée au film un caractère catalogique[18] extrême ; d'où, par conséquent, les aspects et les significations, si l'on ose dire, extrêmes, voire paradoxaux des données du film. [19] Pourtant, comme le signale l'intertitre du début du film : "Ce n'est pas sûr." Voilà un premier paradoxe, car, nous ne verrons pas le météorite tomber. Nous n'en saurons rien, hormis quelques rares signalisations verbales dans le corps de l'œuvre. Dans ces conditions, nous perdons au fur et à mesure du déroulement de l'action, la réalité effective de la chute d'un objet céleste. Regardons de près le développement de cet aspect : la première signalisation est annoncée dès le plan 4. [20] Sur un fond bleu, au centre de l'écran, le texte suivant défile[21] :
"Qu'est-ce que c'était ? La chute d'un météorite ? La visite des habitants de l'abîme cosmique ? Ça ou autre chose, dans notre petit pays, s'était produit le miracle des miracles : la ZONE. On y envoya des troupes. Elles ne revinrent pas. On encercla la Zone de cordons de police. Et on fit bien… Enfin, je n'en sais rien." Extrait de l'interview du Professeur Walles prix Nobel accordée à l'envoyé de la RAI." |
Même l'avis d'un prix Nobel est incertain. De plus, nous apprenons qu'il y a eu des troupes qui ne sont pas revenues. [22]
Est-ce que le météorite est un « message du ciel » ?
Quoi qu'il en soit, la "Zone" devient un espace interdit, un lieu à éviter, défendu, le mirage d'un miracle. Tout l'intérêt et le drame du film résident dans l'accession et la progression de l'homme à l'intérieur de l'interdit. Tarkovski peint avec une lumière sombre le périple d'hommes transgresseurs. Le réalisateur est-il un homme transgresseur ? [23] Par ailleurs, dans le livre des frères Strougatski, le météorite est absent ; il s'agit d'une visite d'extra-terrestre. La question qui se pose est donc celle de savoir pourquoi Tarkovski accorde une importance à ce météorite. Il faut constater que : « (…) L'aérolithe est considéré comme une théophanie, une manifestation et un message du ciel. (…) (Il) Remplit une mission analogue à celle de l'ange : mettre en communication le ciel et la terre. L'aérolithe est le symbole d'une vie supérieure, qui se rappelle à l'homme comme une vocation ou qui se communique à lui." [24]
Ainsi, le film s'engage sur une voie biblique, grâce à un certain nombre d'indices qui vont se multiplier et vont acheminer le film vers cette voie. [25] Après la biographie d'Andreï Roublev, moine-peintre du XVème siècle russe, Andreï Tarkovski propose une transposition biblique de la création dans une époque contemporaine. Cette composante biblique est en permanence sous-jacente : elle donne au film son caractère constamment pesant, pensant et perçant : pesant, car les protagonistes et les objets acquièrent un poids constant. Même l'eau dans ce film est lourde, métallique. Les murs suintent avec des reflets gris acier, comme s'ils transpiraient. [26] Pensant, parce que tous les personnages adultes [27] sont anxieux : dos courbés par un poids moral, fronts ridés, traits tirés. Perçant, parce que nous allons découvrir le mystère de la "Zone", et pénétrer dans son secret. De plus, les trois caractéristiques citées, illustrent d'une manière cinématographique les apparences et les facettes d'une dramaturgie qui vont au-delà de la configuration filmique.
Le passage du particulier au général
Le film ne se contente pas de re-présenter le drame de ces trois principaux protagonistes, mais encore, le drame de la destinée humaine : drame de l'excès (matérialisme du Professeur), drame du succès (mondanité de l'Ecrivain), drame de la place du sacré (spiritualisme hésitant du Stalker), et en fin de compte, le drame d'être. Jean Mitry, en citant Gisèle Brelet, écrit: (…) "Le drame c'est essentiellement un devenir" [28], "le drame sert de prétexte à l'évocation d'un climat" [29], "les événements sont orientés (ou choisis) en vue d'une certaine "finalité". [30] Dans Stalker, le climat est double, d'une part le climat proprement filmique, d'autre part, le climat social. Ainsi, Tarkovski anticipe d'une dizaine d'années, la chute du communisme, la fin de la guerre froide et la menace nucléaire (hantise du réalisateur). Il pose la question cruciale suivante : Que se passera-t-il après ? Comment l'homme va-t-il réagir à ces profonds changements ? Qu'est-ce qui de l'homme ou de la société, change ? Une fois de plus, nous assistons d'une manière frappante, à une convergence du monde filmique dans le monde contemporain. D'ailleurs, comme l'écrit à juste titre R. Dadoun : (…) "Toute image, quelle qu'elle soit, est comme intrinsèquement, du seul fait d'être là, marquée voire saturée par le politique." [31]
Regardons de près les images de ce film exceptionnel.
Les pèlerins de la « Zone » (plans 2 – 42)
Le Professeur et le néon clignotant (plan 3)
Plan 3 : 01' 00" : "Le Professeur" est le premier protagoniste qui apparaît dans le film. C'est un physicien. Il entre dans un bar singulier, le sol est d'apparence mouillée, aux reflets brillants, presque argentés. Le Professeur porte un bonnet et tient une espèce de petit sac à dos, à bandoulière. Le bar est le lieu de rencontre des gens qui se rendent dans la "Zone". Au-dessus de sa tête un néon blanc [32] ne cessera pas de clignoter, c'est le premier témoignage d'une incertitude dominante dans le film. (Cf. Photogramme - 2.)
Le Professeur est le premier arrivé. Il est donc avant l'heure, c'est un indice de sa ponctualité. Nous l'apercevons le temps du défilement du générique du film. Aussitôt après, passe le texte que nous avons cité sur "le mystère de la Zone" (plan 4).
Mais contrairement au Professeur, Andreï Tarkovski, pour introduire le deuxième protagoniste du film, le Stalker, choisit de nous le présenter directement dans son appartement. Nous ne saurons rien des appartements respectifs du Professeur et de l'Écrivain. De plus un certain nombre de faits cinémantiques vont avoir lieu.
Le Stalker : Gîte du guide (plans 5 - 14)
Plan 5 : 03' 34" : Avec un travelling avant très lent, "la caméra passe entre deux portes-fenêtres et cadre en plan d'ensemble une chambre. Au centre est disposé un lit à baldaquin en fer forgé."[33] Le mur du fond a un aspect métallique, brillant. (Cf. Photogramme – 3)
Plan 6 : La caméra poursuit son travelling pour venir en plan rapproché et en légère plongée sur un plateau en fer vibrant sur une table. (Cf. Photogramme – 4)
Nous entendons des sons de sifflets de train. Sur la table : (…) "Un verre d'eau, un bout de coton, deux comprimés, une sorte de petite boîte, un morceau de papier froissé." [34] Après la vibration de verre, grâce à un travelling lent à gauche, nous allons apercevoir dans l'ordre : la femme du Stalker, ensuite, une petite fille, Ouistiti, et enfin, un homme au crâne presque rasé, le Stalker. Un travelling repartira à droite, pour s'arrêter de nouveau sur le plateau qui continue de vibrer légèrement. [35]
Donc, le verre vibrant ponctue et isole l'introduction du Stalker et de sa famille. Et à la fin du film, le prodige de Ouistiti, (plan 144, dernier plan du film) ponctue le début et la fin du film. Quel est alors, l'intérêt de ce plan ? Est-il plastique ? Est-il métaphysique ? Est-ce que le sifflement du train et la vibration du verre sont comme un signal de départ pour le Stalker ? Est-ce que cela veut dire qu'il habite près d'une gare ? S'agit-il d'un centre de départ et d'arrivée imminentes ? Est-ce l'indice sismographique de la météorite ? Cette ponctuation peut être aussi considérée comme une parenthèse. Pour reprendre un terme tarkovskien, elle devient comme une strate supplémentaire, mieux encore, comme une strate cinémantique. Car le plateau devient une représentation métaphorique de la Zone, où tout change à chaque instant, où tout bouge. [36] E. Morin dirait une "représentation cosmomorphique". [37]
Plan 7 : 06' 20" : La première chose que le Stalker va faire en se levant du lit n'est pas d'enfiler son pantalon, mais de prendre le réveil, pour ne pas réveiller sa femme.
Plan 8 : 08' 25" : Le Stalker passe à la cuisine, il allume un chauffe-eau à gaz. Soudain, l'ampoule accrochée à un mince fil, au centre de la pièce, s'allume. "L'ampoule s'illumine un bref instant avant d'imploser.» (Cf. Photogramme - 5.)
Plan 9 : 09' 15" : « En contre-champ, la femme qui tient encore le fil de l'ampoule.» [38]L'image n'est-elle pas cinémantique ? N'annonce-t-elle pas l'éphémère, l'instantané ? C'est une représentation de la brève réaction de la femme du Stalker, qui découvre en une seconde dans toute sa lumière, l'éclatante vérité du départ du Stalker pour la «Zone». Elle tient à présent, un fil électrique au bout duquel ne règne que l'obscurité. Elle dit au Stalker : «Pourquoi as-tu pris mon réveil ? Dis où est-ce que tu vas ? Tu m'avais pourtant juré…»
Plan 10 : 09' 54" : Le Stalker se brosse les dents, il dit à sa femme, imperturbable : « Chut ! Tu vas réveiller Ouistiti !» Il continue à se brosser les dents. A gauche du cadre, les flammes du chauffe-eau. L'image, ici, suggère le feu de la détermination qui habite le Stalker. La permanence du feu s'oppose à l'éclair instantané de la lampe qui implose. Si cette dernière représente sa femme, la première représente le Stalker. De plus, l'une éclaire, l'autre chauffe. [39]Le Stalker crache de l'eau, se retourne et s'essuie la bouche avec une serviette.
Plan 12 : 11' 20" : Au passage du Stalker derrière sa femme, la serviette suspendue tombe au sol. (Cf. Photogramme - 6.) Les reproches de sa femme continuent, elle entre dans une espèce de crise spasmodique (couchée sur le sol), et veut l'empêcher de partir.(Cf. Photogramme - 7.)
Deux indices vont retenir notre attention : le crachat et la serviette. En ce qui concerne la serviette, (…) "Certaines croyances voient dans le fait de laisser tomber une serviette (de table, de toilette ou de bain) l'annonce d'une visite imprévue, bienvenue ou inopportune." [40] Or, nous allons nous apercevoir que ces deux actes [41] presque insignifiants et courants vont concourir à annoncer un sens imperceptible de l'image. Ils amorcent en fait, la suite filmique. En effet, au :
Plan 14 : 13' 00" : Le Stalker se rend sur une voie ferrée pour rencontrer le troisième et dernier protagoniste du film : l'Écrivain. A son arrivée, il est surpris de voir l'Écrivain accompagné d'une dame élégante. Les signes s'accumulent. L'enchaînement et l'accumulation des indices à l'intérieur des plans 9, 10, 12, et 14, sont, entre autres, un bel exemple démonstratif de la construction d’une image chez Tarkovski, quand il écrit (…) : "Je ne crois pas au caractère multistratifié du cinéma. La polyphonie filmique ne naît pas d'une multiplicité de strates, mais "d'un enrichissement progressif plan à plan", par leur succession et leur accumulation. Et il n'y a que cela : la polysémie de l'image réside dans sa nature intrinsèque." [42] Ces propos pertinents sur l'image cinématographique illustrent le poids des liaisons de l'image cinématographique: la construction de l'image passe d'abord par l'intermédiaire des composantes internes et spécifiques de l'image, et non pas par la densité du jeu de l'acteur. D'autre part, nous retiendrons de ces propos seulement ce qui est relatif à la cinémancie. Pour Tarkovski, l'image, le plan, n'est pas un espace fixe, statique, une nature morte dans laquelle nous disposons des accessoires décoratifs pour faire de belles compositions. Car, plus précisément (…) : "Une image artistique est une image qui assure son propre développement, sa propre perspective historique. Cette image est une semence, un organisme vivant qui évolue." [43] En fait, ces constatations concourent à édifier les bases évolutives de ce qu'il appelle "L'idée directrice, constructive." [44]
Transposition de la Bible ?
Comme nous l'avons déjà dit, nos hypothèses nous engagent sur une transposition sophistiquée de la Bible ; sophistiquée à la fois du point de vue de la forme filmique et du fond biblique. En effet, le Stalker et sa femme deviennent une transposition d'Adam et Eve, les premiers humains qui ont connu la "Zone". C'est l'arbre défendu qui portait le fruit défendu. [45] Dans cette allégorie, la "Zone" ressemble à un arbre par ses ramifications interminables. Ici, Eve ne mangera pas le fruit défendu, et Adam sera le guide des hommes, vers et dans cet arbre. Ils n'ont pas d'enfants dont l'un serait parricide. Ils ont une fille qui est dans la réalité du film, une mutante. Andreï Tarkovski écrit (…) : "Dans ce film, je veux faire comme explorer le rapport au jour présent, et me tourner vers le passé où l'humanité a commis tant d'erreurs qu'elle est contrainte de vivre aujourd'hui comme dans un brouillard. Le film parle de l'existence de Dieu dans l'homme, [46] et de la perte de la spiritualité par l'acquisition d'une connaissance trompeuse." [47] Stalker est en fin de compte une mutation de la Bible. C'est la Bible à l'envers et en désordre. L'Apocalypse[48] a déjà eu lieu. Est-ce l'œuvre d'une super civilisation ? Ou la chute d'un météorite ? Ce caractère apocalyptique assure les fondations catalogiques du film, où tout est renversé, où comme nous allons le voir : "Le chemin le plus droit, n'est pas forcément le chemin le plus court."
Le chapeau de l’Ecrivain sur le capot (plan 14)
Au Plan 14, sur la voie ferrée, le Stalker surprend l'Écrivain en pleine discussion avec la belle dame.(Cf. Photogramme – 8.) Son discours est basé sur l'ennui. [49] Nous l'avons compris, l'Écrivain veut emmener avec lui dans la Zone, la belle dame. Toutefois, le Stalker ne voit pas les choses de la même façon. Il s'approche de la dame, et lui dit des mots inaudibles à l'oreille. Elle s'en va, en lançant à l'Écrivain: "Crétin." En partant dans sa voiture, elle emporte le chapeau de l'Écrivain qui était posé sur le toit de la voiture. La scène est presque burlesque, une voiture avec un chapeau. (Cf. Photogramme – 9.)
L'Écrivain s'aperçoit que son chapeau part avec sa voiture, il passe sa main sur sa tête nue.
Les indices du chapeau
Le chapeau est un indice significatif (…) : "Le rôle du chapeau paraît correspondre à celui de la couronne, signe de pouvoir, de la souveraineté, et ce d'autant plus qu'il s'agissait autrefois d'un tricorne." [50] Car, "la corne symbolise la puissance, et le chiffre trois est magique. En outre, le chapeau couvre une partie de la tête, siège du cerveau et de la pensée." [51] Ici, le chapeau représente "la vie mondaine" de l'Écrivain. Mais c'est une mondanité qui va disparaître, emportée par la dame mondaine : le chapeau posé sur le toit de sa voiture, c'est le départ de cette vie mondaine (en vitesse). Ainsi, le chapeau, représente l'Écrivain, il devient l'Écrivain, et en laissant partir "son" chapeau, il laisse partir une partie de lui-même. Progressivement, nous allons assister à l'émergence du "vrai" visage de l'Écrivain, qui est par ailleurs le personnage le plus prolixe parmi les trois protagonistes silencieux et laconiques du film. [52]
Trois protagonistes, trois couvre-chefs
Le fait que Tarkovski ait choisi trois personnages qui vont voyager dans les dédales de la Zone nous permet de mieux les observer. Nous sommes plus attentifs à leurs habitudes, à leurs manières, à leurs façons de se comporter, etc. Nous allons justement nous arrêter sur le couvre-chef respectif de chaque protagoniste. Nous venons de le voir, l'Écrivain porte un chapeau qu'il vient de surprendre partir. Le Professeur porte un bonnet, qu'il gardera presque tous le temps sur la tête. Le Stalker, enfin, a le crâne rasé, sauf qu'il porte au niveau du cou, une espèce de bandage médical qui, avec le temps, a perdu de sa blancheur et de sa tension : un bandage relâché, comme la laisse d'un animal. (Cf. Photogramme – 10.) La raison d'être de ce « collier de tissu », nous l'apprenons grâce à la biographie sommaire que le Professeur raconte à l'Écrivain, dans le long plan 44 : « Un séjour en prison, des mutilations ici (…) et sa fille qui est une "mutante", victime de la Zone. Elle n'aurait pas de jambes ! »
Le cas du Stalker
Nous n'en savons pas plus sur les "mutilations". En revanche grâce à sa femme nous en saurons davantage sur la prison, à la fin du plan 10 : « C'est en prison que tu rentreras ! Et tu écoperas non pas de cinq ans, mais de dix ans ! » Le Stalker lui lance une réponse qui prête à réfléchir : « En prison ! Mais je suis partout en prison. » D'ailleurs, le Stalker n'en dira pas plus. Durant la crise de sa femme, il ne parlera pas beaucoup, mais quand il parle, en quelques mots, il dit beaucoup.[53] Nous pouvons aussi déduire que même dans la Zone, "il est en prison", qu'il est tenu par une laisse à la Zone, comme celle qu'il porte au cou. Témoin du "développement" de cette image et de son évolution : c'est le chien noir de la Zone. Le Stalker, de retour de la Zone, va l'adopter. Au plan 134, dans le bar, la femme du Stalker dit, en désignant le chien : « D'où ça vient, ça. » Le Stalker lui dit : « Il s'est attaché à moi. Comment l'abandonner ? » Le « ça », ce prénom démonstratif désigne "le chien", mais il pourrait aussi désigner la Zone. Ça sera d'ailleurs une des grandes questions du film : est-ce que le chien noir symbolise la Zone ? Peut-être que, s'il ne la désigne pas directement, du moins il la personnifie. Ainsi, la réponse du Stalker est révélatrice. Mais lui aussi est attaché à la Zone. Cela, nous le verrons au fur et à mesure.
Pour le moment, nous revenons au film :
Première manifestation de l’eau
Plan 15: 14' 55" : Le Stalker et l'Écrivain se rendent au bar, ils sont attendus par le Professeur. Avant d'entrer dans le bar, et en montant les quelques marches d'un escalier, l'Écrivain trébuche, glisse et tombe un genou à terre : « (râlant) C'est plein de flotte ici. ». (Cf. Photogramme – 11.) Ce court plan nous révèle deux indices. Le premier indice est la génuflexion involontaire de l'Écrivain. Le second indice c'est la raillerie de l'Écrivain, sur « la flotte ». En effet, cela n'est que le début, comme nous allons le voir, il sera souvent mouillé.
La question des « noms »
Plan 16a : 15' 13" : Les trois hommes sont réunis, ils ne vont plus se quitter, sauf au cours de petits incidents révélateurs.
Les présentations sont effectuées de la manière suivante : l'Écrivain dit au Professeur : « Alors, vous êtes vraiment un Professeur ?
- Le Professeur : Si vous voulez…
- L’Écrivain : Laissez-moi me présenter. Je m'appelle… Le Stalker le coupe sèchement :
- On vous appelle l'Écrivain.
- Le Professeur : Et moi, comment je m'appelle ?
- Le Stalker : Vous …, vous êtes le Professeur. » (Cf. Photogramme – 12.)
Cette question se pose dans le film d'une manière constante, nous la reverrons plus loin, à l’appui d’autres arguments.
Plan 16b : Au bout d'un moment, nous entendons un sifflet de train retentir. Le Stalker leur dit : « Vous entendez, c'est notre train. » Ils sortent du bar. Ils montent dans une jeep, et ici commence la seule course-poursuite de voiture qu'Andreï Tarkovski ait réalisée. (Plans 18 - 42 )
« L’Avant-Zone » : Disposition, citation et coloration (Plans 18 – 42 )
Jusqu'à preuve du contraire, la course-poursuite en général n'offre pas une base idéale pour un développement d'hypothèses cinémantiques. Cette remarque met l'accent sur le "caractère contemplatif" et méditatif de la cinémancie, dans laquelle l'observation et l'éveil aux données immédiates sont des facteurs fondamentaux.
Plusieurs détails vont retenir notre attention, en particulier : le sac du Professeur, les grillages et la lourde barrière sous laquelle l'Écrivain passe, en se baissant, pour aller de l'autre côté. En effet, cette dernière représente la pesante tâche que l'Écrivain va accomplir dans la Zone. Elle représente aussi la Zone, par le fait qu'elle constitue un obstacle. [54]
La course-poursuite
Plans 18 - 21 : Le Stalker prend le volant, allume les phares et démarre. Il roule sur des routes glissantes. A un moment, il arrête la jeep, le moteur arrêté, le Stalker est debout, il observe aux alentours.
Plan fixe sur une rue boueuse, pleines de larges flaques d’eau. (Cf. Photogramme – 13.) On entend une voiture s’approcher. Dans le brouillard, à droite du cadre, on aperçoit la jeep s’avancer. La jeep débouche sur une autre rue. Elle s’arrête. On entend le bruit d’un autre moteur. Le Stalker éteint le moteur, fait signe aux autres de se baisser. Il sort de la voiture et s’aplatit sur le sol humide : « Ne bougez pas ». (Cf. Photogramme – 14.) Apparaît au fond de la rue, à droite, une moto, qui repart aussitôt.
La jeep fait une marche arrière et disparaît derrière un pan de mur. La jeep réapparaît, et s’éloigne dans le prolongement embrumé de la rue. (Plan 20)
La jeep traverse un hangar plongé dans la pénombre, elle s’arrête au centre de la large ouverture d’un ancien double portail. Le Stalker demande à L’Écrivain : « Regardez s’il n’y a personne. » Ce dernier saute de la jeep, et marche vers l’intérieur du hangar. Le Stalker crie : « Allons, pressez-vous. » L’ Écrivain court, il s’arrête, il regarde à gauche, à droite, et se retourne vers les autres : « Il n’y a personne. » Il revient vers la jeep qui redémarre. Le Stalker lui dit en partant : « Allez vers l’autre sortie. » L’ Écrivain s’exécute, il va de l’autre côté, il sort du hangar et retrouve la jeep qui s’avance vers lui dans une rue jonchée de « longs et fins copeaux de bois blancs » [55] (Cf. Photogramme – 15.)
Les grilles et les barrières (plans 22 – 35)
Au fur et à mesure de la progression des trois hommes dans l’Avant-Zone, nous allons rencontrer deux figures qui vont s’imposer d’une manière récurrente, il s’agit des grilles et des barrières. Il faut noter que ces figures ont une forte connotation dans la représentation de l’interdit, du défendu et de l’exclu. De plus, ils ont une qualité de « transparence », si l’on ose dire, ils laissent entrevoir les espaces, tout en produisant une séparation.
Pourtant à travers ces obstacles et ces frontières protégées, le Stalker a des complices qui vont l’aider à franchir l’infranchissable. Nous allons rencontré un complice au plan suivant :
Plan 22 : Sur une voie ferrée et derrière un large portail doublement grillagé, apparaît le complice, il ouvre le portail afin de laisser passer une grosse locomotive, elle est aussitôt poursuivie par la jeep qui emprunte également la voie ferrée et sort dans la même direction que la locomotive.
Un fait singulier va nous intéresser :
Plan 23 : Gros plan du complice, mégot aux lèvres, il regarde la jeep s’éloigner. Il recule en refermant le portail, il se retourne et court sur la voie où il trébuche et manque de tomber. (Cf. Photogramme – 16.)
C’est le second trébuchement dans le film, et ce n’est pas le dernier. Andreï Tarkovski exploite cette figure afin de souligner la part d’hésitation de la part du protagoniste. En quelques secondes, il intensifie la charge de l’interdit. Il montre de la sorte que le complice a peur.
Plan 25 : A l’intérieur d’un hangar plongé dans l’obscurité. La jeep s’engage en marche arrière et s’arrête à la lisière de la porte. Le Stalker descend de la jeep, en demandant à ses compagnons : « Faites le guet, s’il vous plaît. » Et il se dirige de l’autre côté du hangar.
L’image de la voiture en marche arrière est intéressante, elle montre une idée d’une transgression, car, somme toute, les trois hommes sont des transgresseurs, ils refusent l’ordre établi. D’ailleurs, dans le hangar, nous aurons les révélations de l’Écrivain qui sont révélatrices :
Plan 26 : Le Professeur regarde à droite dans la direction du Stalker. L’Écrivain a la tête baissée sur ses mains, il lève la tête et commence à parler au Professeur : « Ce que je vous disais hier… c’était du bla-bla. Je me foutais de l’inspiration. D’ailleurs, comment savoir le nom… de ce que je veux ? Et comment savoir qu’en réalité, je ne veux pas ce que je veux ? Ou que je ne veux vraiment pas ce que je veux ? Ces choses sont insaisissables. Il suffit de les nommer et leur sens disparaît. (…) Mon « moi » voudrait que je devienne végétarien… et mon inconscient se languit d’un beau morceau de viande. Qu’est-ce que je veux vraiment ? » Ces propos anticipent les révélations (inspirées) de l’Écrivain au seuil de la « Chambre des Désirs », à la fin du film.
Deux images pertinentes vont suivre :
Plan 28 : Devant un poste de garde sur la voie ferrée, un policier casqué, près d’une barrière rayée noir et blanc surveille les environs. (Cf. Photogramme – 17.) L’image présente une ambiance générale électrique, survoltée si l’on ose dire, avec des nombreuses lumières puissantes accrochées à des poteaux en bois, le long de la voie ferrée. D’autres lumières vont s’illuminer, nous entendons le son d’une locomotive qui arrive. La barrière s’ouvre. (Cf. Photogramme – 18.) La locomotive apparaît, et s’arrête sous les feux des projecteurs. Des policiers avancent et inspectent le wagon chargé de matériel… électrique.
La variation brutale de la lumière est une grande qualité dans le film, nous l’avons déjà vu, une première fois au plan 8, avec l’ampoule qui implose, comme si elle annonçait un passage entre deux états différents, deux intensités différentes. Ensuite, lors de la course-poursuite, au plan 19a et 21. Nous aurons l’occasion de revoir ce type de variation plus loin. [56]
Nous n’avons pas fini de voir des barrières, en particulier celle du plan 35. Mais avant, les trois hommes vont finir par passer par le poste frontière, ainsi :
Plans 29 - 34 : A l’ouverture de la barrière, le Stalker se met au volant de la jeep en invitant ses compagnons de faire : « Plus vite ». La jeep surgit derrière la locomotive, et profite de son passage pour franchir le poste frontière sous le tir des policiers (plan 30). Une sirène s’enclenche. Les gardes continuent à tirer des longues rafales (plan 31). Mais, le Stalker réussit à se faufiler à travers ce passage mortel. La jeep débouche sur une rue, et fait encore une marche arrière (plan 33).
Plan 35 : La jeep arrive dans un hangar et elle s’arrête devant une barrière en bois. Le Stalker demande à l’Écrivain : « Allez voir si la draisine est sur la voie. » L’Écrivain répond : « Quelle draisine ? » Le Stalker insiste : « Allez, Allez ! » L’Écrivain descend de la jeep, et se baisse sous la lourde barrière, pour passer de l’autre côté. (Cf. Photogramme – 19.)Après quelques pas, une courte rafale broie le silence. Il se couche à terre et reste immobile. Nous sentons qu’il perd ses moyens. Le Professeur réagit et dit : « Laissez, je vais faire. » L’Écrivain retourne vers la jeep.
Plans 36 - 37 : Le Professeur, à travers les flaques et les gravats, monte un petit escalier. (Cf. Photogramme – 20.) Il explore les environs, il marche sur un petit muret. Des balles atteignent l’eau, créant des ondulations. Il arrive devant la draisine, il débloque le frein et la pousse légèrement (Plan 37.) Il fait signe aux autres de venir. L’Écrivain, portant le jerrican d’essence, s’achemine vers les rails. Le Stalker monte sur la draisine et place à l’arrière le jerrican. Il s’adresse au Professeur : « Laissez tomber votre sac, il vous gêne.
- Le Professeur : Vous êtes parti comme pour une promenade, vous. »
Le Professeur et L’Écrivain montent sur la draisine. Le Professeur est devant avec le Stalker, L’Écrivain est derrière, dos à eux. La draisine démarre.
Plans 38 - 42 : L’Écrivain s’adresse au Stalker : «
- Et s’ils nous rattrapent ?
- (Off) Jamais ! Ils en ont peur comme de la peste.
- Peur de qui ? »
Le Stalker ne répond pas. L’Ecrivain baisse les yeux et s’assoupit.
Les plans 39 à 42 montrent des gros plans des têtes des trois protagonistes. Ils arrivent enfin dans la Zone. C’est la fin de la voie ferrée, nous assistons au début de la couleur.
« La Zone » : Solutions, inspirations et convictions (Plans 43 -131)
L’extérieur de la « Zone »
Les poteaux de la « Zone » - 1 -
Plans 43 - 44 : 36' 22" : L’extérieure de la Zone est un paysage brumeux, au premier plan, des herbes et des arbres, au fond, une forêt et un fleuve. (Cf. Photogramme – 21.) Parmi les rares vestiges d'une civilisation passée, nous distinguons des poteaux électriques en bois penchés de côté. La disposition particulière des deux poteaux va nous introduire de nouveau dans une dimension biblique. En effet l'image inclut et suggère, si l'on ose dire, (...) "les croix du Golgotha", "ce qui veut dire lieu des crânes." [57] La fugacité et la présence étincelante de cette portion d'image sont à comparer, par exemple, avec l'ampoule qui implose au plan 8. Il nous semble qu'une grande part de l'art cinématographique de Tarkovski réside dans la mise en œuvre de "moments-clés", de "moments-éclairs". A ce propos le cinéaste écrit que : "La polysémie de l'image réside dans sa nature intrinsèque." [58] Mais, cette "image" devient une image-éclair qui structure alors l'ensemble de l'épisode, voire l'ensemble du film. Cela explique l'importance de certaines séquences longues, car les unes sans les autres ne peuvent coexister.
Ainsi, grâce à la simple présence de cette puissante figure ascensionnelle, la croix, Tarkovski suggère donc, par extension (et par culture) le port de la croix. Il reste à savoir qui des trois protagonistes est le Christ. Est-ce que c'est l'Écrivain ? Comme nous allons le voir au plan 120, des fils de fer enchevêtrés rappelant une couronne d'épines, qu'il disposera sur sa tête, pourraient le désigner comme le Christ ? Est-ce que cela veut dire qu'il est sur la voie du Christ ? "Un Christ" qui s'intronise? Est-ce que la voie du Christ est accessible à ceux qui la choisissent ?
Le Stalker va rompre le silence : « Nous voilà chez nous. Quel silence. C’est l’endroit le plus calme de terre. Vous le verrez vous-mêmes. C’est si beau ici : il n’y a personne.
- Le Professeur : Mais nous sommes là !
- Stalker : Trois hommes ne peuvent tout souiller en un jour.
- Le Professeur : Et pourquoi pas ? (Voir : Clédon)
- Stalker : Bizarre, les fleurs n’embaument pas. Ou alors c’est moi… Vous ne sentez pas.
- Le Professeur : Ça pue la vase, c’est ce que je sens.
- Stalker : C’est la rivière, elle est tout près. Il y avait un parterre de fleurs. « Porc-épic » les a écrasées en égalisant la terre…
- Le Professeur : Pourquoi les a-t-il écrasées ?
- Stalker : Je ne sais pas. Je lui ai demandé : pourquoi ? Il a dit : un jour tu comprendras. Je pense qu’il s’est mis à haïr la Zone.
- Le Professeur : C’est son vrai nom, Porc-épic ? (Cf. Photogramme – 22.)
- Stalker : Il en a mené des gens dans la Zone sans que personne ne s’y oppose. C’est mon maître, il m’a ouvert les yeux. A l’époque, on ne l’appelait pas Porc-épic, on l’appelait Maître. Et puis, il lui est arrivé quelque chose… ça s’est brisé en lui… (Il s’approche du Professeur) Voudriez-vous attacher ces bandes à ces écrous ? (Cf. Photogramme – 23.) (…) Moi, je vais aller faire un tour.
- L’Écrivain : Où va-t-il ?
- Le Professeur : Peut-être veut-il rester seul.
- L’Écrivain : Pourtant, même à trois, on ne se sent pas très à l’aise ici.
- Le Professeur : Un rendez-vous avec la Zone. C’est un Stalker, lui.
- L’Écrivain : Et alors ?
- Le Professeur : Être Stalker : c’est une vocation, en quelque sorte.
- L’Écrivain : Je me l’imaginais différent.
- Le Professeur : Et comment ?
- L’Écrivain : Genre Œil-de-lynx, Géronimo, Serpent rusé…
- Le Professeur : Sa biographie à lui est plus terrible encore. Un séjour en prison, des mutilations ici… et sa fille qui est une « mutante », victime de la Zone. Elle n’aurait pas de jambes !
- L’Écrivain : Qu’en est-il pour ce… Porc-épic ? Que signifie : « il a été puni » ? Est-ce une figure de style ?
- Le Professeur : Un jour, Porc-épic est revenue d’ici, de la Zone… et subitement il est devenu riche. Incroyablement riche.
- L’Écrivain : C’est une punition, ça ?
- Le Professeur : Une semaine après, il s’est pendu.
- L’Écrivain : Pourquoi ?
- Le Professeur : Chut (on entend un hurlement de loup)
- L’Écrivain : Et ça, qu’est-ce que c’est. »
La question de la dénomination - 2 -
Nous l’avons déjà vu, cette question se pose dans ce film d'une manière constante. De plus, nous distinguons deux types de noms : les noms de fonctions, Professeur, Écrivain, Stalker, Maître ; et les noms d'animaux, Porc-épic, Ouistiti. Nous rappelons l'origine du mot Stalker selon Andreï Tarkovski "to stalk : marcher à pas de loup." [59] A cela s'ajoute dans le prolongement du dialogue au plan 44, l'Écrivain qui "imaginait le Stalker, genre Œil-de-lynx, Géronimo, Serpent rusé…" Et dans le plan 97, devant l'obscurité inquiétante du "tunnel-hachoir", l'Écrivain dit : " C'est plutôt sombre, hein Professeur ? Je ne tiens pas à m'y aventurer le premier. Serpent rusé ne se porte pas volontaire." L'Écrivain devient-il un Stalker ?
Voir : Porc-épic
Le petit tour du Stalker
Plan 45 : Nous entendons des bruits de pas dans l’herbe. Nous découvrons un arbuste où sont emmêlées des toiles d’araignées. (Cf. Photogramme – 24.) L’image est pertinente, elle suggère d’une part, les méandres confondues de la Zone, avec des réseaux indéterminés, et d’autre part, elle représente un complexe de filet, qui sont les dangers de la Zone.
Plans 46 - 47 : Le Stalker apparaît au milieu des herbes hautes. Il s’agenouille progressivement. (Cf. Photogramme – 25.) Nous entendons sa respiration. Il s’allonge de tout son long dans les herbes, ventre contre terre. La tête du Stalker reste immobile, posée sur une main. Ensuite, il se retourne, les yeux fermés, puis, il les ouvre à demi.
Les bandes de tissu lestées par des écrous
Plan 48 : 43' 02" : Retour au Professeur qui parle à l’Écrivain : « Il ya une vingtaine d’années, une métorite serait tombée à cet endroit. Le village a été réduit en cendres. (…) (Le professeur cherche dans son sac les écrous afin de les lester aux bandelettes.) Puis, les gens se sont mis à disparaître… (…) Finalement on a conclu que ce météorite… n’en était pas tout à fait un… pour commencer… on a posé le fil de fer barbelé, pour préserver les curieux. »
Le Professeur commence à lester les bandelettes avec des écrous, qui ressemblent à des anneaux. Il attache consciencieusement le ruban de gaze à l'un des écrous. C'est grâce à ces écrous que le Stalker va guider les deux personnes dans la Zone. Il plie la bandelette en deux afin d'obtenir une boucle, qu'il introduit dans le trou de l'écrou. Il fait passer les bouts du tissu dans la boucle et tire en serrant. (Cf. Photogramme – 26.) Il en fait trois de la sorte, comme les trois protagonistes. (Cf. Photogramme – 27.)
L'ambivalence marquée de l’écrou
Nous constatons que le Professeur fait le nœud machinalement, comme s'il l'avait toujours fait. C'est une image qui a l'apparence d'une "image-clé", car elle renferme à elle seule un certain nombre de catégories symboliques qui s'enchevêtrent. D'abord, l'écrou polygonal ressemble à un anneau. Ensuite, le nœud de la bandelette, la boucle et l'entrelacs font partie de "la physionomie du film".
L’ambivalence de l’écrou-anneau vient du fait (…) "que l'anneau relie en même temps qu'il isole, ce qui n'est pas sans rappeler la relation dialectique maître-esclave." [60] Le témoignage de cette relation maître-esclave est clairement dévoilé au plan 55, après que le Stalker a lancé une bandelette lestée. L'Écrivain se baisse et tire sur une racine qui fait trembler un arbuste. Le Stalker, hors de lui crie : "Arrêtez, c'est interdit." (Plan 56.) Il lance sur l'Écrivain une barre de fer, en criant : "N'y touchez pas, je vous dis ! (...) Ce n'est pas un lieu de promenade. La Zone demande du respect, sinon elle châtie." (Plan 57.) [61] Mais le Stalker dominateur est à son tour dominé par la Zone. Car, le nœud, comme l'anneau, est aussi ambivalent. Les significations sont fort nombreuses.
Le nœud de la boucle
Dans le système varié des nœuds, ce nœud s'appelle "l'empile à boucle". En effet, si la bandelette suggère les petits trajets effectués par les protagonistes, la boucle détermine le film en boucle, et les entrelacs enfin, proposent les ramifications de la Zone. Cette accumulation de symboles est au cœur même du "stalkrisme", si l'on ose dire, sa raison d'être. Ces bandelettes lestées sont les véritables clés de la Zone. Elles ouvrent des portes invisibles. C'est une problématique tarkovskienne. Dans "la maison de la fin du monde", du film Nostalghia, Domenico traverse une porte plantée au milieu d'une pièce, qui n'a aucune raison d'être. Ici, c'est grâce à ces bandelettes lestées que les deux visiteurs vont pouvoir progresser dans la Zone, à travers des passages invisibles. (A partir du plan 52.) Le Stalker procède de la façon suivante : il lance l'écrou auquel est attachée la bandelette, qui atterrit à un endroit donné. L'écrou semble ainsi muni de petites "ailes" blanches. Le Professeur et l'Écrivain se dirigent vers le point de chute, [62] le Stalker les suit. Ils ramassent l'écrou et le Stalker recommence son geste.
Les symbolismes du nœud
On en retiendra surtout la notion de fixation dans un état déterminé, (…) " de condensation ou en terminologie bouddhique, "d'agrégat". On parle de nœud de l'action, de dénouement, de nœud vital. Le défaire correspond, soit à la crise ou à la mort, soit à la solution et à la délivrance. (…) Car le nœud est contrainte, complication, complexe, "entortillement" [63] ; mais les nœuds sont, par la corde, [64] reliés à leur principe." [65] Les nœuds entrent aussi dans le cadre des pratiques magiques [66] : (…) "On pourrait les classer dans deux rubriques : 1. Les liens magiques utilisés contre les adversaires humains. 2. Les nœuds et les liens bénéfiques, moyens de défense contre les animaux sauvages, contre les maladies et les sortilèges, contre les démons et la mort." [67]
Par ailleurs, un aspect du mythe gordien est transposé dans le film. Nous avons vu la simplicité du nœud dit de l'empile à boucle. L'aspect peu complexe du nœud correspond à la fragilité des souhaits du Professeur : il emporte avec lui une bombe de vingt kilotonnes, espérant anéantir la Zone. Il accède à son "souhait" (plan 125). Mais quelques instants plus tard, il "désempile" la bombe et il la jette au quatre coins de "l'Antichambre". Le Professeur contribue à nouer les écrous, comme par ailleurs il contribue à fabriquer la bombe. Le "nœud" a été dénoué, aussi facilement qu'il a été noué (plan 131). En fait, chacun des trois protagonistes effectue ou effectuera à un moment donné un type de nœud. Nous venons de voir les réalisations du Professeur. Le Stalker dispose d'un nœud permanent autour du cou, comme s'il était attaché définitivement à la Zone, comme s'il avait la Zone "en collier". Enfin, L'Écrivain confectionnera la couronne d'épines qui ressemble à un grand nœud qu'il dispose sur sa tête. Ces différents niveaux de localisation anatomiques : tête, cou, dos, correspondent aux aboutissements de la destination supposée, à travers les méandres psychologiques de l'âme. Nous constatons qu'il y a une direction symbolique ascensionnelle, notamment avec la couronne de l'Écrivain.
Le rapport avec le livre des Strougatski
Il nous semble que le procédé des « bandelettes lestées par des écrous » n'a pas pris dans le film tout le poids dramatique qu'il mérite, sans doute pour des raisons techniques. En effet, dans le livre des Strougatski, le Stalker Shouhart dit à Kiril : (…) " Tu te rappelles l'histoire du Petit Poucet ? On te l'a apprise à l'école ? Eh bien, maintenant ça va être l'inverse." (…) Je jetai le quatrième écrou. Et celui-ci, justement, ne passa pas. Je ne pouvais pas expliquer ce qui n'allait pas, mais je sentis qu'il y avait quelque chose. (…) Je pris le cinquième écrou et l'envoyai plus haut et plus loin. La voilà, la "calvitie de moustique !" L'écrou partit vers le haut normalement, il commença à tomber aussi normalement, mais à mi-chemin, ce fut comme si quelqu'un l'avait tiré de côté avec une telle force qu'il s'enfonça dans l'argile et disparut." Dans le livre, la Zone est terriblement dangereuse, avec des lieux et des pièges indescriptibles, outre "la calvitie de moustique", il y a " la gelée de sorcière ", "(qui) pointait ses langues bleues, semblables aux flammèches de l'alcool hors du trou et, le comble, n'éclairait rien du tout" (p. 39), "le duvet brûlant" (p. 25), les crachats du "chou du diable" (p. 25), etc. [68] Ainsi dans le livre, le danger est permanent et "visuel" ; dans le film, le danger est surtout textuel. Andreï Tarkovski élimine toute référence à la science-fiction, [69] il ne garde que la "Chambre des Désirs", ("la boule d'or" dans le livre) qui est la quête de quelques voyageurs audacieux.
Les dangers dans le film
Les "dangers" de la Zone sont exprimés par le Stalker lui-même, [70] car il les connaît et il les a vus, Ainsi, au plan 65, il dit : "La Zone est un système très compliqué. Il y a plein de pièges, qui sont tous mortels.(…) Des pièges disparaissent, d'autres les remplacent.(…)" Ou alors, le danger est exprimé par la Zone elle-même. Comme au plan 61, quand l'Écrivain voulait "prendre le chemin le plus court", une "voix" l'arrête : "Halte, ne bougez pas." Avec ce parti pris, il nous semble qu'Andreï Tarkovski réalise une "inversion des cadres" de projection de la réalité, c'est-à-dire que ce que nous voyons constitue les cadres de la conscience des protagonistes, [71]comme le dit d'ailleurs le Stalker, au plan 65 : "C'est ça la Zone. (…) à chaque instant, elle est telle que l'avons faite, (…) par notre propre état d'esprit. (…) Tout ce qui se passe ici dépend non de la Zone, mais de nous." Donc, en résumé, la Zone est compliquée, mortelle et capricieuse. Pour y progresser, il faut "stalker", marcher à pas de loup. La bandelette lestée constitue "l'appât" mécanique du complexe organique de la Zone.
La bande son ou le son de la bande - 1 -
Retour au Plan 48 : Le Professeur discute avec l'Écrivain, toujours à propos du météorite. «
- L'Écrivain : Mais vous, qu'en pensez-vous ?
- Le Professeur : Je ne pense rien. Tout ce qu'on veut Un message à l'humanité, comme dit un collègue ou un cadeau.
- L'Écrivain : Un drôle de cadeau ! Pourquoi l'auraient-ils fait ? »
Le Stalker de retour répond en voix-off : « Pour nous rendre heureux.»Mais soudain, au plan 49, à peine termine-t-il sa phrase qu'une partie d'un poteau derrière lui se détache, et tombe dans un bruit de câble qui se casse. (Cf. Photogramme – 28.) Comme si la Zone répondait en écho au Stalker ou alors à l'Écrivain ! Dans la même catégorie d'idée, "la parenthèse sonore", ponctue le petit "tour" du Stalker. À son arrivée il y a la partie du poteau qui se détache, et à son départ, le hurlement du loup.
La bande-son du film est particulièrement importante. [72] Elle participe pleinement à l'émergence d'une partie poétique du film. Plus encore, elle ancre le film dans une dimension profonde. Elle est, si l'on ose dire, sa quatrième dimension. Andreï Tarkovski dit qu'en fin de compte seule la course-poursuite constitue le côté science-fiction de la nouvelle des Strougatski. [73] Or, nous nous permettons d'ajouter aussi la bande-son. En effet, nous avons parlé précédemment du développement considérable du rapport "plan à plan". Mais le rapport "son à plan" participe aussi du même développement, peut-être plus encore, comme nous allons le voir plus loin.
Des poteaux animés
L'image est d'autant plus ambiguë qu'elle procède par "stratification sémantique". D'une part, c'est la barre horizontale du poteau qui tombe, comme si le poteau de la Zone "baissait les bras". De plus, elle tombe sur un enchevêtrement hétéroclite de fils. D'autre part, l'altération du symbole puissant de la croix est aussi source d'ambiguïté ! L'aspect iconoclaste, surtout, suggère-t-il l'abandon de la religion au profit d'une mutation païenne ? Est-ce le retour du culte des idoles ? Ou est-ce la super-civilisation qui veut bannir le religion ? Comme le couperet d'une guillotine (allusion formelle), ne peut-il pas suggérer également un point de rupture ? Nous sommes encore en face de propositions dualistes de la part d'Andreï Tarkovski.
Les déplacements dans la « Zone »
Comment on se déplace dans la Zone ?
Plan 49 : 44' 50" : Le Stalker, de retour, le sourire aux lèvres, raconte : « Les fleurs refleurissent, mais elles ne sentent plus… (Seconde allusion aux fleurs) Excusez-moi de vous avoir laissés ici… Mais il était encore trop tôt pour y aller. (Soudain, un hurlement de loup, second hurlement également.) Vous avez entendu ?
- Le Professeur : Serait-ce vrai qu’on habite ici ?
- Stalker : Qui ça ?
- Le Professeur : Vous me l’avez raconté vous-même. Ces touristes… qui se trouvaient ici quand la zone s’est créée.
- Stalker : Il ne peut y avoir personne dans la Zone… Alors, on y va ? »
Plan 50 : 45' 50" : Le Stalker retourne vers la draisine, il l’a fait démarrer et l’a renvoie en marche arrière. Aussitôt, la draisine disparaît dans les brumes. L’image est à prendre en considération. C’est la troisième marche arrière du film…
Plan 51 : 46' 13" : Les trois hommes regardent partir la draisine, l’Écrivain et le Professeur n’ont pas l’air très rassuré. (Cf. Photogramme – 29.)
- L’Écrivain : « Comment reviendrons-nous ?
- Stalker : Ici, on ne revient pas…
- L’Écrivain : Comment ça ?
- Stalker : Nous irons comme convenu. Chaque fois, j’indiquerais la direction. (Entre temps, un des écrous tombe, indice d’inquiétude.) Il est dangereux de s’en écarter. (Il le ramasse.) (Cf. Photogramme – 30.) Le premier point de repère est ce dernier poteau… Passez le premier, Professeur. (Le Professeur de dos commence à marche.) A vous maintenant. (L’Écrivain suit le Professeur.) Marchez bien dans les traces. »
L’Écrivain fait à peine quelques pas, qu’il manque, encore, de tomber, autre indice d’inquiétude. Il se ressaisit vite. (Cf. Photogramme – 31.)
Les premiers pas dans la Zone
Plan 52 : 47' 30" : Travelling avant sur un petit bus envahit d’herbes. (Cf. Photogramme – 32.)La caméra s’avance dans l’encadrment d’une fenêtre brisée. On discerne à l’arrière du véhicule, une silhouette sombre. A travers l’encadrement de la fenêtre arrière, vont apparaître, d’abord, le Stalker, ensuite, le Professeur, et enfin, l’Écrivain. Comme les autres, l’Écrivain observe le véhicule : « Mon Dieu, mais où sont ? … Alors ils serait restés ici ? Des gens ? (On distingue au fond un groupe de chars de combat.)
- Stalker : Qui sait ? Ils sont montés à la gare, chez nous… Pour arriver ici dans la Zone. J’étais encore gosse. Les gens croyaient qu’on voulait nous envahir ! (Il lance un écrou lesté) C’est à vous, Professeur. (Le Professeur disparaît dans la pente) Votre tour, l’Écrivain. » Ce dernier passe près du Stalker, se retenant à lui pour ne pas glisser. (Cf. Photogramme – 33.) Troisième déséquilibre de la part de l’Écrivain !
Plan 54 : 51' 20" : Les trois hommes se tiennent l’un près de l’autre. Ils observent les alentours. Le Stalker regarde à droite : « Votre chambre est par ici. Nous, c’est par là-bas.
- L’Écrivain : Vous avez un peu exagéré, c’est à portée de la main. (Cf. Photogramme – 34.)
- Stalker : Mais il faut avoir le bras très long. Nous n’en avons pas. » (Il lance un écrou.)
Rappel des trébuchements dans le film - 1 -
- 1. Photogramme 11, plan 15, l’Écrivain glisse et tombe genou à terre ;
- 2. Photogramme 16, plan 23, le complice du Stalker court sur la voie où il trébuche et manque de tomber ;
- 3. Photogramme 31, plan 51c, l’Écrivain fait à peine quelques pas, qu’il manque, encore, de tomber ;
- 4. Photogramme 33, plan 53, l’Écrivain passe près du Stalker, se retenant à lui pour ne pas glisser.
Les écarts de l’Écrivain dans la Zone
Plan 55 : 51' 55" : Trois grosses caisses en bois jonchent le sol. Apparaît le Professeur de dos. Il se dirige avec précaution à l’endroit où l’écrou vient atterrir et le ramasse. (Cf. Photogramme – 35.) Puis apparaît, en sifflant, l’Écrivain qui monte sur l’une des caisses en travers du chemin. (Cf. Photogramme – 36.)
Les photogrammes 35 et 36 présentent les différences dans les traits de caractère et le comportement de la part du Professeur et de l’Écrivain. Le premier suit scrupuleusement les consignes, il obéit aux règles établit par le Stalker, le second, constate finalement, que les dangers de la Zone sont « exagérés », qu’il peut se permettre quelques écarts : il commence à marcher en sifflant, il se place à côté du Professeur, jette un coup d’œil vers le Stalker, il se baisse et négligemment, tire sur une racine qui fait trembler un arbuste. Le Stalker crie : « Arrêtez c’est interdit ! »
Plans 56 - 57 : 52' 48" : Le Stalker se baisse sur ses genoux, il crie une seconde fois à l’intention de l’Écrivain : « Non, n’y touchez pas ! » Au sol, il trouve une courte barre de fer, il s’en empare, et la lance vers les deux hommes, en criant : « N’y touchez pas, je vous dis ! (Cf. Photogramme – 37.)
- L’Écrivain : Vous êtes fou ou quoi ?
- Stalker : Ce n’est pas un lieu de promenade. (Il avance vers eux) La Zone demande du respect, sinon elle châtie.
- L’Écrivain : Elle « châtie » ! Essayez donc encore une fois. Vous avez perdu la langue ?
- Stalker : Je vous l’avais demandé ! (Le Professeur intervient, en changeant de sujet.)
- Le Professeur : C’est par là-bas ?
- Stalker : Oui, on monte, on entre et… c’est à gauche. Ne passons pas par là. Faisons le tour.
- L’Écrivain : Et pourquoi ça ?
- Stalker : Dans la Zone, le chemin le plus droit n’est pas le plus court. Plus on va loin, moins on risque.
- L’Écrivain : (Il relace un de ses souliers.) Tout droit, c’est danger mortel ?
- Le Professeur : C’est dangereux, vous dit-on.
- L’Écrivain : Et en faisant le tour ?
- Stalker : Aussi. Mais ici, on ne doit pas passer.
- L’Écrivain : Qui ne doit pas ? Et si moi je veux… (…) Pourquoi faire un détour, quand c’est juste là ! Il y a un risque de toute façon. Au diable…
- Stalker : Vous le prenez trop à la légère.
- L’Écrivain : J’en ai marre de vos écrous et de vos bandelettes. Faites ce que vous voulez, je vais par ici. (Il sort sa bouteille de son manteau.)
- Le Professeur : Vous êtes un insensé.
- L’Écrivain : Vous pouvez parler… (Il porte la bouteille à ses lèvres. Le Stalker la lui prend comme s’il voulait en boire aussi.)
- Stalker : Vous permettez ? (Cf. Photogramme – 38.) (Il s’éloigne d’eux, il sort du cadre, les deux hommes l’observent. On entend le bruit que fait le liquide en atteignant le sol. L’Écrivain fronce les sourcils.
Plan 58 : 54' 40" : Le Stalker est debout près d’une dalle de pierre émergeant des herbes, en train de verser le contenu de la bouteille : « Vous sentez… L’herbe… » (3ème allusion à l’odeur des plantes.) (Cf. Photogramme – 39.)
Plan 59 : 54' 50" : Gros plan de l’Écrivain regardant le Stalker.
- L’Écrivain : « Alors, raison de plus…
- Le Professeur : (off) Quoi, « raison de plus » ? »
Le Stalker prend l’Écrivain par le bras : «Attendez !
- L’Écrivain : Bas les pattes.
- Stalker : Bien… Mais alors… Je prends…. Le Professeur à témoin, je ne vous y ai pas envoyé, vous y allez de votre propre gré.
- L’Écrivain : Parfaitement. Quoi, encore ?
- Stalker : Rien, allez-y… Que Dieu vous protège… Écoutez si soudain vous remarquez quelque chose… ou si vous ressentez quelque chose d’insolite… revenez immédiatement, sinon…
- L’Écrivain : Ne me jettez pas votre ferraille dans la nuque. »
Plans 60 - 61 : 56' 23" : L’Écrivain se dirige très lentement, vers une grande batisse en pierre avec une grande entrée sans porte. A peine quelques pas, il s’arrête, il se passe la main sur la tête. Le vent se lève. Il commence à s’avancer timidement. Le vent s’amplifie, faisant ployer les herbes et les branches de l’arbre. L’Écrivain fait quelques pas. Un bruit de grincement se fait attendre, comme le grincement du poteau qui tombe. Et une voix caverneuse venant d’ailleurs se manifeste gravement : « Halte, ne bougez pas. » (Cf. Photogramme – 40.) Suivie immédiatement d’un zoom arrière et d’un chœur de voix mêlées au bruit du vent. Le zoom découvre les parois sombres de la bâtisse, et en fin de plan, un objet flou, comme un voile transparent sombre, traverse l’écran de haut en bas. (Cf. Photogramme – 41.)
Nous retrouvons la même situation dans Le Miroir, au plan 23, au réveil d'Aliocha, une serviette blanche mystérieuse, traverse le cadre de la porte.
Plan 62 : 57' 41" : Le Professeur et le Stalker observent l’Ecrivain :
- Stalker : Pourquoi vous…
- Le Professeur : Quoi, « pourquoi ? »
- Stalker : Pourquoi l’avez-vous arrêté ?
- Le Professeur : Moi ? Je pensais que c’était vous…
Plans 63 - 65 : L’Ecrivain se retourne vers les deux autres, et puis revient vers eux. Il s’approche d’eux. Nous entendons le son de sa respiration, il a eu vraisemblablement peur : « Mais pourquoi m’avez-vous dit d’arrêter ? (Plan 65)
- Stalker : Je n’ai pas dit d’arrêter.
- L’Écrivain : Qui alors, vous ? (Le Professeur fait non de la tête.) Bon sang de bonsoir !
- Le Professeur : Vous êtes champion, camarade Shakespeare ! Avancer vous faisait peur, reculez vous faisait honte, vous donnez l’ordre à vous-même d’une voix déguisée. Ça vous a même déssaoulé.
L’Écrivain va pour protester.
- Stalker : Ça suffit !
- L’Écrivain : Vous avez vidé ma bouteille.
- Stalker : Ça suffit, je vous dis… La Zone est un système très compliqué. Il y a plein de pièges, qui sont tous mortels. J’ignore ce qui s’y passe en l’absence des hommes, mais dès qu’ils apparaissent tout se met en mouvement… Des pièges disparaissent, d’autres les remplacent. Des endroits qui étaient sûrs deviennent infranchissables. La route devient simple et facile… ou bien semée d’embûches. C’est ça la Zone… On pourrait la croire capricieuse, mais à chaque instant… elle est telle que nous l’avons faite… par notre propre état d’esprit… Il y a même eu des cas où… les gens rebroussaient chemin à mi-parcourts… D’autres mourraient au seuil même de la chambre. Tout ce qui se passe ici dépend non de la Zone, mais de nous.
- Le Professeur : (Off) Elle laisse passer les bons et tue les méchants !
- Stalker : Je ne sais pas. Je crois qu’elle laisse passer ceux… qui n’ont plus aucun espoir… Ni les bons, ni les mauvais… Les malheureux. Mais le plus malheureux périra vite s’il ne sait pas se conduire… Vous avez de la chance qu’elle vous ait prévenu.
Les écarts du Professeur dans la Zone
Après ce que nous venons de voir et d’entendre, le Professeur ne sort pas indemne de l'intermède de l’Écrivain. Il commençait à prendre conscience de la dangerosité de la Zone.
Plan 65b : 1h 00' 48" : Le Professeur enlève son sac en annonçant : « Vous savez, je préfère rester ici… En attendant que vous reveniez… comblés de félicité. (Il s’assoit sur une dalle.)
- Stalker : (off) C’est impossible.
- Le Professeur : Mais si, j’ai des sandwiches, un thermos…
- Stalker : (off) Sans moi, vous ne tiendrez même pas une heure. Et on ne revient pas par le chemin de l’aller.
- Le Professeur : Néanmoins, je préfèrerais…
- Stalker : (off) Retournons tous ensemble. Je vous rendrai votre argent. J’en déduirais une partie pour… le dérangement…
- L’Écrivain : Vous voilà dégrisé, Professeur ?
- Le Professeur (se lève, remet son sac à dos) : C’est bon, jetez votre écrou.
Dans la bâtisse de la « Zone »
Plan 66 : 1h 02' 14" : A l’intérieur de la bâtisse, le Stalker de dos, est au seuil d’une entrée, il appelle ses protégés : « Où êtes-vous ? Venez par ici. »
Plan 66 : 1h 02' 26" : Le Professeur et l’Écrivain sont près d’une partie de la bâtisse à moitié en ruine. Le Professeur est assis sur un petit muret, et masse ses pieds. L’Écrivain est allongé, la tête reposant sur une grosse pierre. Derrière eux, un sombre et mince passage vers l’intérieur de la bâtisse. Au-dessus du Professeur, pend une bandelette blanche.
- Stalker : Vous êtes fatigués ou quoi ? (Cf. Photogramme – 42.)
- L’Écrivain : Mon Dieu ! A en juger par son ton, il va encore nous faire de la morale.
A cet instant précis, nous entendons en off, le bruit d’une pierre jetée dans l’eau.
Plan 68 : 1h 02' 55" : Reflux de l’eau après la chute de la pierre. (Cf. Photogramme – 43.) L’eau a des reflets aciers, comme s’il s’agissait d’une eau lourde, métallisée. Le Stalker en voix off commence un monologue : « Que leur volonté soit faite. Puissent-ils croire… et rire de leurs propres passions. Car ce qu’il nomment « passions » n’est pas la force de l’âme, mais une friction entre l’âme et le monde extérieur. L’essentiel est qu’ils croient en eux-mêmes. Et deviennent fragiles comme des enfants. Car la faiblesse est grande tandis que la force est minime.
Plan 69 : 1h 03' 43" : Le Stalker est accroupi dans l’encadrement d’un passage étroit. Il continue son monologue : « L’homme en venant au monde est faible et souple. Quand il meurt il est fort et dur ? L’arbre qui pousse est tendre et souple. Devenu sec et dur, il meurt. La dureté et la force sont les compagnons de la mort, la souplesse et la faiblesse expriment la fraîcheur de la vie. Ce qui est dur ne vaincra pas.
Le trébuchement du Professeur
Plan 69b : 1h 04' 25" : Le Stalker longe un mur en béton? Il arrive à une ouverture arrondie. Il se laisse glisser vers l’intérieur. Il descend quelques pas en se baissant. Le Professeur l’attendait.
- Stalker : Venez par ici. Nous avons bien marché. (L’Écrivain s’approche dans l’encadrement) Après le tunnel sec ça sera plus facile. (Le Professeur trébuche. Les deux autres le relève.) Ne nous portez pas malheur. (Cf. Photogramme – 44.)
Voilà que le Stalker devient superstitieux (…) : "Le faux pas, qui contrarie l'ordre des choses, symbolise un obstacle tout en mettant dans une posture délicate, passe généralement pour un mauvais présage. L'origine de cette croyance remonterait à un temps où le manque de tenue, même involontaire, était très sévèrement jugée. (…) Trébucher en partant en voyage ou en débutant une entreprise devrait inciter à modifier ses projets." [74]
Soulignons le fait qu'au plan 15, lorsque l'Écrivain accompagne le Stalker au bar, il monte les marches de l'escalier, glisse et tombe un genou à terre, il dit en râlant : "C'est plein de flotte ici." A ce moment-là, le Stalker ne dit rien. Ce n'est que dans la Zone qu'il est attentif aux gestes de ces compagnons.
Le trébuchement du Professeur nous relie au sac. Car c'est le moment où il le perd, et en le perdant, il perd son vœu le plus cher : détruire "la chambre des désirs". Non seulement le Professeur va défaillir (en ne voulant plus s'engager dans la Zone), il va aussi disparaître. Mais pas pour longtemps, puisqu'il réapparaît au plan 74.
Voir : Les autres trébuchements.
Le Professeur perd son sac
Plan 69c : 1h 04' 45" : Le Professeur est étonné : « Nous avançons déjà ? »
- Stalker : Bien sûr. Pourquoi ?
- Le Professeur : Attendez ! Je pensais que… vous vouliez nous montrer quelque chose. Et mon sac à dos ?
- Stalker : Qu’est-ce qu’il a, ce sac ?
- Le Professeur : Je l’ai laissé là-bas. Je ne savais pas qu’on avançait !
- Stalker : On n’y peut plus rien.
- Le Professeur : Si, il faut qu’on y retourne !
- Stalker : Impossible
- Le Professeur : Que faire sans mon sac !
- Stalker : On ne revient ni en arrière ni par le même chemin. Au diable ce sac, serait-il rempli de diamants ! Oubliez-vous que la chambre vous donnera tout ce que vous voulez.
- L’Écrivain : Des sac à dos en pagaille !
- Le Professeur : C’est encore loin cette chambre ?
- Stalker : Si on marchait en ligne droite… à deux cents mètres. « Si »… voilà le malheur.
- L’Écrivain : Laissez là votre empirisme rampant, Professeur, les miracles sont en dehors de l’empirisme.
Le Professeur disparaît
Plan 69d : 1h 05' 36" : Le Stalker fait pendre un écrou au-dessus du puits. L’Écrivain apparaît derrière lui : « Rappelez-vous que Saint-Pierre faillit se noyer. »[75] (Cf. Photogramme – 45.) Le Stalker laisse tomber l’écrou. Long temps de silence avant le son de la chute dans l’eau. « Allez-y l’Écrivain.
- L’Écrivain : Aller où ?
- Stalker : Montez cet escalier. (Le Stalker se retourne vers le Professeur qui est resté en bas.) Professeur, où êtes-vous passé ? » (Le Stalker longe la paroir d’un mur sui semble faire face à un précipice.)
Plans 70 - 72 : 1h 06' 40" : On découvre sous les brèches d’un mur une large et puissante chute d’eau. Au premier plan, des vieilles lampes en fer sont suspendues à intervalles presque réguliers. Gros plan de l’Écrivain qui regarde avec inquiétude l’environnement. Il rejoint le Stalker.
- Stalker : Et voilà le tunnel sec.
- L’Écrivain : Vous appelez ça sec ?
- Stalker : Plaisanterie locale. D’habitude, il faut nager.
L'Écrivain sent que le Professeur défaille, puisqu'il demande au Stalker : (dans un endroit de la Zone où ils ont de…l'eau jusqu'aux chevilles.) : « Mais où est le Professeur. (…) (il) a disparu. » (Plan 72.) (Cf. Photogramme – 46.)
- Stalker : Professeur, ohé ! Mais il marchait derrière vous, voyons !
- L’Écrivain : Il a dû décrocher et il s’est perdu.
- Stalker : Mais non, il a dû aller chercher son sac. Il ne pourra pas s’en sortir.
- L’Écrivain : Et si on l’attendait ?
- Stalker : Non, pas ici, où tout change à chaque instant.
Premier travelling d’objets sous l’eau
Plan 73 : 1h 09' 25" : Gros plan d’un tison de braises posées sur des rochers. Le vent fait rougir les braises. (Cf. Photogramme – 47.)
- L’Écrivain : (off) Regardez, qu’est-ce que c’est ?
- Stalker : (off) Je vous l’ai pourtant expliqué.
- L’Écrivain : (off) « Expliqué » ?
- Stalker : (off) C’est la Zone, comprenez-vous, la Zone ! … Vite, venez vite !
Le travelling passe au-dessus d’un étroit cours d’eau clair passant entre des pierres. L’eau recouvre un sol carrelé. On aperçoit divers objets : une seringue en métal, une passoire rectangulaire, des barres métalliques, une mitrailleuse, des pages imprimés.
Le Professeur apparaît
Plan 74 : 1h 10' 09" : On découvre le Professeur, assis sur un muret. L’Écrivain sort de l’ombre d’un passage : « Le voilà ! » (Cf. Photogramme – 48.) Derrière l’Ecrivain, apparaît le Stalker.
On s’aperçoit qu’ils sont de retour au même lieu où ils s’étaient arrêtés une première fois. ( Plan 67) Le Professeur est en train de se restaurer.
- Le Professeur : Je vous suis très reconnaissant d’avoir…
- Stalker : Comment êtes-vous arrivé ?
- Le Professeur : Une grande partie du chemin… Je l’ai faite à quatre pattes.
- Stalker : Et comment nous avez-vous devancés ?
- Le Professeur : Devancés moi ? Je suis revenu chercher mon sac à dos.
Tout à coup, l’Ecrivain lève la tête, il s’aperçoit qu’il y a un écrou suspendu : « Notre écrou, que fait-il ?
- Stalker : Seigneur, mais c’est un piège ! Porc-épic avait accroché spécialement l’écrou ici. Comment la Zone nous a-t-elle laissés passer ? Je ne ferai plus un pas tant que… ça alors ! Suffit ! Repos ! Tenez-vous loin de cet écrou, au cas où… J’ai bien cru que le professeur ne s’en sortirait pas. (Le Professeur commence à ranger ses affaires et à s’éloigner de l’écrou pendu au-dessus de lui.) Je ne sais jamais à l’avance quelles personnes je conduis… Tout se précise ici, quand il est trop tard.
- L’Écrivain : (off) Pour nous, l’essentiel, c’est que le sac du professeur, avec ses caleçons, soit resté intact.
- Le Professeur : N’y fourrez pas votre nez, si vous ne comprenez pas.
- L’Écrivain : Qu’y-a-t-il de particulier à comprendre ? Les lois de Newton… (Plan 75 : 1h 12' 25" : L’Écrivain est couché à plat ventre.) Quelle affaire ! Des abîmes psychologieuses. A l’institut, on est mal vu. Pas de fonds pour les expéditions… Alors on bourre son sac de manomètres-merdomètres… On pénètre illégalement dans la Zone, et on analyse les miracles de ce lieu… (Plan 76 : 1h 12' 45" : Le Professeur repose sur une pente, il a les genoux recroquevillés.) Personne au monde ne connaît l’existence de la Zone. Alors, c’est sensationnel ! La télévision, les admiratrices qui en bavent… qui vous tressent des couronnes laurier… (Plan 77 : 1h 13' 01" : Le Stalker, agenouillé d’abord, s’étend à plat ventre.) Apparaît le Professeur, tout de blanc vêtu, qui annonce : « Manel, thecel, pharès ».[76] Les gens sont sidérés… (Plan 78 : Le Professeur a toujours les genoux recroquevillés, et la tête posée sur son sac. ) (Cf. Photogramme – 49.) et hurlent en chœur : « Donnez-lui le prix Nobel ».
- Le Professeur : Minable scribouillard ! Psychologue à la noix ! Écrivez donc sur les murs des chiottes… pauvre débile !
- L’Écrivain : C’est pas très fort, vous n’êtes pas à la hauteur.
Apparition du chien noir
Plan 79 : 1h 13' 38" : Au fond et au centre d’une étendue marécageuse, apparaît un chien noir. Il avance vers les trois hommes. Le Professeur répond à l’Écrivain : « D’accord, j’œuvre en vue du Nobel… ( Le chien s’arrête, aux aguets.) (Cf. Photogramme – 50.) Et vous, vous courez après quoi ? Vous voulez offrir à l’humanité… (Plan 80 : Le Stalker a les genoux recroquevillés.) les perles de votre inspiration vénale ?
- L’Écrivain : Je me fous de l’humanité. (Plan 81 ) Une seule personne m’intéresse – moi. Je tiens à savoir… si je vaux quelque chose ou si je suis une merde, comme d’autres.
- Le Professeur : (off) Et si vous découvrez que vous êtes…
- L’Écrivain : (off) Savez-vous, Monsieur Einstein… Je ne discuterai pas avec vous. (Tête du Stalker de face) De la discussion jaillit la vérité, qu’elle soit maudite ! Écoutez Géronimo ! (Plan 82 )Vous avez conduit des tas de gens ici…
- Stalker : Pas autant que j’aurais voulu.
- L’Écrivain : (off) Là n’est pas la question. Pourquoi venaient-ils ici, que voulaient-ils ?
- Stalker : Trouver leur bonheur, je pense.
- L’Écrivain : (off) Quel genre de bonheur ?
- Stalker : Les gens ne parlent pas de ce qui leur est le plus cher. Ça ne regarde ni vous ni moi.
- L’Écrivain : (off)Vous avez eu bien de la chance : de ma vie je n’ai rencontré un seul homme heureux.
- Stalker : Moi non plus. Ils sortent de la Chambre, je les reconduis et on se revoit plus jamais. Les désirs ne se réalisent pas immédiatement.
- L’Écrivain : (off) Et vous, cette « chambrette » ne vous a jamais… tenté personnellement ?
- Stalker : Je suis bien comme je suis.
- L’Écrivain :
- Stalker :
Plan 83 : 1h 15' 29" : Le Stalker est allongé sur le côté. Autour de lui, de l’eau. Le chien noir s’approche de lui, et vient se coucher contre lui. (Cf. Photogramme – 51.)
Plan 84 : Gros plan du Stalker. Panoramique verticale descendant sur l’eau en très gros plan. Dans l’eau, un lambeau de page d’un livre, ainsi qu’un objet jaune non identifiable.
Plan 85 : L’Écrivain est allongé sur le ventre. Il nous regarde, les yeux fermés : « Professeur écoutez-moi... À propos de l’inspiration vénale… (L’Écrivain ouvre et ferme les yeux par intermittence.) Admettons que j’entre dans cette chambre, et que je revienne dans notre ville oubliée, en génie ! L’homme écrit parce qu’il souffre, qu’il doute. Il doit prouver aux autres et à lui-même… qu’il vaut quelque chose. Si je suis sûr d’être un génie… alors pourquoi dois-je écrire ? À quoi bon ? D’ailleurs je dois vous dire que… que nous existons uniquement pour…
- Le Professeur : (off)Soyez gentil, laissez-moi tranquille. Laissez-moi m’assoupir, je n’ai pas dormi de la nuit. Gardez vos complexes pour vous.
- L’Écrivain : De toute façon toute votre technologie… ces hauts fourneaux et toutes ces roues… et tout ce remue-ménage… en vue de moins travailler et bouffer davantage – ne sont que béquilles et prothèses. L’humanité existe pour créer. Créer des œuvres d’art. (Cf. Photogramme – 52.) Et ça ne lui rapporte rien, à l’opposé des autres actions humaines. Les grandes illusions ! Images de la vérité absolue. Vous m’écoutez, Professeur ?
- Le Professeur : (off) Qui parle d’être désintéressé à l’époque où les gens… meurent encore de faim ? Vous tombez de la lune ou quoi ?
Plan 86 : 1h 18' 46" : Le Professeur est allongé sur le côté. Ses yeux sont fermés.
- L’Écrivain : (off) C’est là, notre aristocratie intellectuelle ? Vous ne savez pas raisonner de façon abstraite.
- Le Professeur : Auriez-vous l’intention de… m’apprendre quel est le sens de la vie. Et m’apprendre aussi à réfléchir ?
- L’Écrivain : (off) C’est inutile... Bien que Professeur, vous n’êtes pas un esprit éclairé.
- Le Professeur : Auriez-vous l’intention de… m’apprendre quel est le sens de la vie. Et m’apprendre aussi à réfléchir ?
Second travelling d’objets sous l’eau
Plan 87 : 1h 19' 22" : Vue d’une étendue d’eau recouverte d’une épaisse couche de végétation moisie ; une boue beige en suspens.
Plan 88 : 1h 19' 55" : Le Stalker se repose sur son bras.
- Voix chuchotante : (off) Il y eut alors un violent tremblement de terre. Le soleil devint sombre tel un cilice. Et la lune devint rouge comme le sang. (Plan 89 : 1h 20' 21" ) Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre comme un figuier secoué par un vent violent… dont les figues, encore vertes, tombent à terre. Et le ciel disparut, comme un parchemin qu’on roule. Les montagnes et les îles s’arrachèrent de leurs places… Les rois de la terre et les grands de ce monde… et les riches et les puissants…
- Travelling avant et zoom en gros plan sur l’eau. Dans l’eau on distingue, une seringue (seconde fois), la terre vaseuse, des morceaux de fer rouillés.
- Voix chuchotante : (off) … les gens forts et les gens libres… se cachèrent dans les cavernes et dans les gorges disant aux montagnes et aux pierres : tombez sur nous et cachez-nous de celui qui siège sur le trône épargnez-nous la colère de l’agneau.
- Travelling (suite) : Des racines, des reflets d’arbres, des morceaux de miroirs… Et dans une espèce de récipient en verre, des petits poissons vivants.
- Voix chuchotante : (off) Car est arrivé le grand jour de Sa colère. Qui donc pourra survivre ? (Rire de la vois off en écho.)
- Travelling (suite) : Sous les pierres, une seringue (3ème fois), une cuillère, un récipient en fer blanc à l’intérieur duquel il y a une seringue, des pièces de monnaies, la couverture d’un livre représentant une icône (Cf. Photogramme – 53.), une mitraillete, des bouts de fil barbelés, un ressort (Cf. Photogramme – 54.), des lambeaux de pages de livre, une sorte de vieille pipe et enfin, flottant sur l’eau, la main du Stalker en gros plan (Cf. Photogramme – 55.).
Le plan 89 offre une vision "archéologique des objets", si nous osons dire, une espèce de vision archéologique des civilisations contemporaines. Nous constatons qu'il y a une direction de lecture.[77] Les objets défilent sous la caméra, pour aboutir enfin à la main inerte du Stalker. A quoi sert un objet, s'il n'y a pas une main pour le manipuler ? Mais quel objet choisir ? A ces questions, il faut saisir le sens qu'attribue Tarkovski à l'image cinématographique, qui est (…) "l'observation des faits dans le temps, agencés selon les formes de la vie même. Selon ses lois temporelles. Mais ces observations nécessitent une sélection. (…) L'image est cinématographique, si elle vit dans le temps et si le temps vit en elle, dès le premier plan tourné. Aucun objet, même "mort", aucune table, aucune chaise, aucun verre, ne peut être filmé isolément dans un plan comme s'il se trouvait en dehors du temps."[78] Ainsi, Tarkovski ne veut pas s'éloigner des faits concrets, dont la vie réelle offre le tableau. Comme le regard d'un enfant ! Il veut, en quelque sorte, échapper à l'analyse intellectuelle, pour s'adresser à l'instinct, au spontané, à l'immédiat. C'est un regard idéal qu'il vise, et qui est difficile d'accès.
Le monologue du Stalker
Plan 90 : 1h 23' 41" : Le chien est couché sur une sorte de promontoire en béton. Brusquement, il se redresse.
Plan 91 : 1h 23' 50" : Gros plan du Stalker. Il est toujours allongé, mais le haut de sa tête est vers le bas. Il dort. Il ouvre doucement les yeux et il se redresse.
- Stalker : Ce jour-là, deux d’entre eux… . (Plan 92 : 1h 24' 20" : Gros plan du Professeur endormi. ) allaient vers un village situé à … et s’entretenaient de ce qui s’était passé. Et pendant qu’ils parlaient… (On découvre le visage de l’Écrivain, appuyé contre le ventre du Professeur. ) lui s’approcha et fit route avec eux. Mais leurs yeux ne pouvaient le voir… si bien qu’il ne le reconnurent pas. (L’Écrivain ouvre les yeux.) Il leur dit : de quoi parlez-vous… et pourquoi êtes-vous tristes ? L’un d’eux, appelé… (Le Professeur ouvre les yeux. Plan 93 : 1h 25' 20" : Le Stalker tourne la tête vers nous.) Vous voilà réveillés ? Vous parliez du sens de… (Plan 94.) notre … vie… de l’art désintéressé. La musique, par exemple… elle est, moins que tout, liée à la réalité. Y serait-elle liée, c’est sans idéologie, mécaniquement…. Par un son creux, sans associations… Et pourtant, la musique, comme par miracle, pénètre dans le fond de l’âme ! Qu’est-ce qui résonne en nous au bruit, devenu harmonie ? Et le transforme en source d’extrême volupté… . (Plan 95 : 1h 26' 18" : Le Professeur et l’Écrivain regardent vers le Stalker. ) … qui nous unit et nous bouleverse ! Pour quoi tout cela, et pour qui ? Vous répondrez : pour personne et pour rien. C’est « désintéressé ». Et bien, non. C’est peu probable. Car tout, finalement, a un sens. Un sens et une raison d’être.
Fondu au noir.
Le « Tunnel-Hachoir »
Plan 96 : 1h 27' 10" : Vue d’un large tunnel incurvé très sombre. Des ouvertures au plafond projettent un peu de lumière du jour sur le sol boueux. On entend le bruit amplifié par l’écho d’une porte qui s’ouvre. (Cf. Photogramme – 56.)
- L’Écrivain : (off) C’est par là qu’il faut aller ?
- Stalker : (off) Hélas, il n’y a pas d’autre voie.
Plan 97 : 1h 27' 40" : Les trois hommes sont au seuil du tunnel. L’Écrivain est appuyé contre le sas en fer recouvert d’épaisse poussière et de toiles d’arraignées. Le professeur est à côté de lui, à droite. Derrière, le Stalker.
- L’Écrivain : (off) C’est plutôt sombre, hein, Professeur ? Je ne tiens pas à m’y aventurer le premier. Serpent rusé ne se porte pas volontaire.
- Stalker : (off) Tirons au sort. Vous n’êtes pas contre ?
- L’Écrivain : Si. Je préfèrerais un volontaire. (Le Stalker s’avance près d’eux.)
- Stalker : Avez-vous des allumettes ? (Le Professeur sort une boîte de sa poche et la lui donne.) Merci. (Le Stalker passe entre les deux hommes et vient se placer légèrement à droite. Il casse une allumette, et se retourne vers eux.) La plus longue ira en premier. (Cf. Photogramme – 57.) (Il tend sa main avec les deux allumettes entre ses doigts.) Tirez. (L’Écrivain tire une allumette.) Cette fois-ci vous n’avez pas eu de chance.
Le Stalker jette son allumette, l’Écrivain porte l’allumette à sa bouche et s’avance, (Cf. Photogramme – 58.) il considère à nouveau le tunnel : Vous devriez y jeter un écrou.
- Stalker :(off) Bien sûr... voilà. (Il cherche autour de lui, et ramasse un objet qu’on ne voit pas. L’Écrivain lui laisse la place. Le Stalker lève sa main armée d’un gros caillou qu’il lance dans le tunnel. (Cf. Photogramme – 59.) Il se dégage de l’entrée en fermant violemment la porte devant lui. Puis il la rouvre. Le Stalker demande à L’Écrivain : Encore un ?
- L’Écrivain : Bon… J’y vais.
Le tirage au sort - Ordalie
Ce petit interlude entre le Stalker et l'Écrivain (le Professeur n'a fait que donner les allumettes) est lourd de résonance divinatoire. C'est en fait une espèce d'ordalie. Car nous saurons au plan 120 que le Stalker a choisi d'envoyer délibérément en premier l'Écrivain dans le tunnel-hachoir. Il n'est plus seulement un guide, mais il devient aussi un juge. [79]
À ce moment, l'Écrivain tient en main l'enchevêtrement de fils de fer fins, avec lesquels il va fabriquer ultérieurement un substitut de la couronne d'épines. L'enchevêtrement de fils de fer ne représente-il pas les fils de son destin ?
Mais d'abord, qu'est-ce qu'une "ordalie" ? C'est en ethnologie (…) "Une épreuve judiciaire dont l'issue, réputée dépendre de Dieu ou d'une puissance surnaturelle, établit la culpabilité ou l'innocence d'un individu. Au Moyen-Age, tantôt l'accusateur et l'accusé se battaient en duel devant le juge, tantôt l'accusé seul se soumettait à une épreuve (ordalie du fer rouge, de l'eau bouillante, etc.). [80]
Le "présage-ordalie"
Par ailleurs, cette ordalie est doublée d'un présage, comme le "présage-ordalie" ou "présage-épreuve" conté par Apollonios de Rhodes dans les Argonautiques (III, 317sq.) (…) : "Les Argonautes arrivent devant les Symplégades, roches au choc meurtrier, écueil mobile qui barre l'entrée du Bosphore. (…) Sur les conseils du devin aveugle Phinée, ils lâchent une colombe. Si elle arrive à passer, ils passeront eux aussi. Cette épreuve provoquée, ce présage-ordalie est sans recours. (…) Le sort des hommes est inscrit dans celui de la colombe qui le préfigure et le détermine. En fait, le passage du navire va répéter exactement le vol de l'oiseau. Celui-ci arrive à franchir la passe mais les rochers se referment et pincent les plumes les plus longues de sa queue. De même façon, le navire qui s'est lancé entre les écueils quand ceux-ci se furent écartés de nouveau parvient à passer mais sa poupe fut endommagée comme l'avait été la queue de la colombe. Le vol de l'oiseau avait ainsi préfiguré et même déterminé le destin des hommes. Il y a là un lien de causalité primitive qui est obscurci chez les auteurs classiques et naturellement dans notre vision mais que l'étude comparative permet de discerner clairement. De la même façon, les oracles grecs déterminaient et créaient l'avenir annoncé par eux." [81] Comme par ailleurs, l'écrit L. Lévy-Bruhl, l'analyse des faits recueillis chez les primitifs peut jeter une nouvelle lumière sur les présages dans les sociétés classiques et mieux les faire comprendre. [82] Le fait que l'allumette soit entière, préfigure "le succès" de l'écrivain. Lui aussi, sera entier. Enfin, un geste significatif est encore à retenir. Au moment où l'Écrivain scrute attentivement le tunnel, il porte l'allumette à sa bouche, comme pour une paisible promenade. (Cf. Photogramme – 58.)
L’Écrivain s’engage dans le tunnel. Le Stalker fait signe au Professeur de s’éloigner. Tous deux, s’éloignent de l’entrée qui reste vide.
Plan 98 : 1h 30' 48" : De dos, l’Ecrivain avance dans le tunnel sombre. Bruit de sa respiration. A un moment, il est presque hors de vue.
- Stalker : (off) Plus vite, Professeur !
Le Professeur entre de dos, en courant. Suivi du Stalker affolé. Le Professeur s’arrête, le Stalker se place derrière lui, s’accrochant à la veste du Professeur. L’Ecrivain continue son avancée à pas de loups. Il n’est pas très rassuré. Le Stalker et le Professeur le poursuivent à leur tour, et s’arrêtent. Quelques pas plus loin, l’Ecrivain heurte quelque chose et tombe. (Cf. Photogramme – 60.)
Rappel des trébuchements dans le film - 2 -
- 1. Photogramme 11, plan 15, l’Écrivain glisse et tombe genou à terre ;
- 2. Photogramme 16, plan 23, le complice du Stalker court sur la voie où il trébuche et manque de tomber ;
- 3. Photogramme 31, plan 51c, l’Écrivain fait à peine quelques pas, qu’il manque, encore, de tomber ;
- 4. Photogramme 33, plan 53, l’Écrivain passe près du Stalker, se retenant à lui pour ne pas glisser.
- 5. Photogramme 45, plan 69, Le Professeur trébuche. Les deux autres le relève : « Ne nous portez pas malheur. » ;
- 6. Photogramme 59, plan 98, l’Écrivain qui tombe dans le tunnel.
Plan 99 : 1h 33' 51" : Dans le mouvement de la chute, apparaissent le Professeur et le Stalker qui s’arrêtent à nouveau. Les deux hommes avancent, réapparaissant et redisparaissant dans le courbe du tunnel. (Plans 100 - 102.) L’Écrivain se tourne, il regarde si ses deux compagnons le suivent. Les deux hommes le poursuivent à distance. (Plan 103.) Il se retourne vers ses compagnons : « Là. Il y a une porte ! » . (Plans 104 - 106.) Les deux hommes apparaissent à nouveau. Le Stalker ordonne : « Ouvrez cette porte et entrez !
- L’Écrivain : Encore moi ? C’est moi qui entre ?
- Stalker : (off) Le sort vous a désigné. Allez, ne vous attardez pas ici. (L’Écrivain résigné, sort un pistolet de sa poche qu’il arme.) Que tenez-vous ? Surtout pas d’armes ici ! C’est la mort pour vous et pour nous. Rappelez-vous les chars ! Jetez-le, je vous en prie !
- Le Professeur : Eh bien, vous ne comprenez pas ?
- Stalker : S’il vous arrive quelque chose, je vous tirerai de là… Mais si… je vous en supplie ! (Il s’agenouille, (Cf. Photogramme – 61.) et crie) Sur qui voulez-vous tirer là-bas ? » (Plan 107.) L’Écrivain lâche son arme, ouvre la porte de fer, en disant : Il y a de l’eau ici.
- Stalker : (off)Tenez-vous à la rampe et descendez. (L’Écrivain commence de descendre dans l’eau qui monte jusqu’à ses épaules (Cf. Photogramme – 62.), et remonte l’escalier en face, son manteau dégouline d’eau.) Ensuite, attendez-nous là haut, à la sortie. (L’Écrivain disparaît derrière le mur. Le Stalker se retourne et s’adresse au Professeur.) Vous n’avez rien dans le genre, j’espère.
- Le Professeur : Dans quoi ?
- Stalker : Dans le genre…pistolet.
- Le Professeur : J’ai une ampoule, pour le cas où…
- Stalker : (off) Quelle ampoule.
- Le Professeur : Une ampoule cachée quoi ! Du poison.
- Stalker : C’est pour mourir que vous êtes venu ici ?
- Le Professeur : On ne sait jamais, j’ai une ampoule. (Il traverse la partie immergée, le sac tenu-au-dessus de sa tête.) (Cf. Photogramme – 63.)
Plans 108 - 109 : 1h 39' 00" : Le Stalker regarde par terre. Gros plan du revolver, la main du Stalker pousse et enfonce le revolver dans l’eau. (Cf. Photogramme – 64.)
- Stalker : (off) L’Écrivain, en arrière. Revenez donc, espèce de suicidaire ! j’ai dit d’attendre à l’entrée. Ne bougez pas !
Le Bunker
Plan 111 : 1h 39' 21" : Une immense salle de béton. Le sol est recouvert de petits monticules de sable. Le Stalker et le Professeur sont au fond de l’image. Le Stalker lance un écrou. Les deux hommes se couchent rapidement sur le sable. (Cf. Photogramme – 65.)
Plans 112 - 113 : 1h 39' 30" : Gros plan d’un monticule de sable sur lequel vient, au ralenti, percuter et rebondir l’écrou. (Cf. Photogramme – 66.) Gros plan de l’Écrivain qui porte sa main à son front.
Plans 114 - 115 : 1h 39' 40" : La réponse de la Zone est des plus étranges : (…) "Un corbeau part de droite cadre et, arrivant vers le fond à gauche disparaît brusquement volatilisée. Un autre surgit du même point et vient se poser sur un monticule à gauche." [83] (Cf. Photogramme – 67.)
La volatilisation du premier corbeau est une illustration cinématographique, d'une "Calvitie de moustique" des frères Strougatski. Ainsi, dans le livre des Strougatski, le Stalker Shouhart dit à Kiril : (…) " Tu te rappelles l'histoire du Petit Poucet ? On te l'a apprise à l'école ? Eh bien, maintenant ça va être l'inverse." (…) Je jetai le quatrième écrou. Et celui-ci, justement, ne passa pas. Je ne pouvais pas expliquer ce qui n'allait pas, mais je sentis qu'il y avait quelque chose. (…) Je pris le cinquième écrou et l'envoyai plus haut et plus loin. La voilà, la "calvitie de moustique !" L'écrou partit vers le haut normalement, il commença à tomber aussi normalement, mais à mi-chemin, ce fut comme si quelqu'un l'avait tiré de côté avec une telle force qu'il s'enfonça dans l'argile et disparut…" [84]
Dans le livre, la Zone est terriblement dangereuse, avec des lieux et des pièges indescriptibles, outre "la calvitie de moustique", il y a " la gelée de sorcière ", "(qui) pointait ses langues bleues, semblables aux flammèches de l'alcool hors du trou et, le comble, n'éclairait rien du tout" (p. 39), "le duvet brûlant" (p. 25), les crachats du "chou du diable" (p. 25), etc. La question qui se pose, c'est celle de savoir pourquoi Tarkovski introduit des corbeaux dans cette séquence. Il peut sembler, de prime abord, que la réponse peut provenir en partie du sol du Bunker : les monticules de sable. Nous y voyons des cadavres d’hommes recouverts par du sable. [85] Comme le dira d'ailleurs le Stalker : "Des gens ont péri ici." [86]
La suite est en préparation
Conclusions
Les faits et les caractères cinémantiques du film
Nous constatons que les strates du film ne s'organisent pas d'une façon cohérente. En effet, le développement sémantique d'un certain nombre de plans du début résonne souvent dans un plan qui se trouve à la fin du film. [87] Il en va ainsi du plateau vibrant au plan 6, qui trouve son développement au plan 144, du bonnet et du sac à dos du Professeur au plan 3 et de leurs développements multiples, des ramifications des bandelettes lestées, etc. Cela implique que nous pouvons distinguer pour le moment trois caractères dominants de la cinémancie : la topo-analyse, la spatio-temporalité et le formalisme. Nous avons abordé la topo-analyse avec Nostalghia ; la spatio-temporalité concerne l'ordre du déroulement des événements dans l'espace et dans le complexe du temps : le temps diégétique, culturel et universel (le chapeau de l'Écrivain ou les développements mythiques du "Porc-épic") ; et enfin, la formalité qui s'inscrit pour Stalker à un double niveau, d'une part, il s'agit de la structure formelle à l'intérieur d'un plan, c'est la relation des objets-choses avec les protagonistes ; d'autre part, il s'agit de la "forme générale" d'un film qui s'appuie sur des formes géométriques.
Par ailleurs, les faits cinémantiques s'inscrivent sur plusieurs registres, [88] et, nous pouvons dire, finalement, que le dénominateur commun qui les soulignent, est le caractère de variabilité. En effet, ce caractère constitue un complexe dans lequel il faut distinguer plusieurs paramètres : celui de la matière (une chose, un mot ou un son) ; de l'objet (taille et structure) ; de la forme (situation et position), et enfin, de la durée des instants. [89] En outre, ces paramètres sont toujours inclus dans une série, qui est elle-même incluse dans une autre série, et ainsi de suite. Ainsi, un film nous livre "le modèle fixe", immuable, d'un certain nombre de séries. Ceci nous pousse à croire qu'il y a un nombre limité de séries, mais un nombre considérable de variantes de séries. [90] Cela démontre que nos intuitions sont cohérentes, puisqu'il suffit qu'il y ait un simple fait cinémantique dans un film, pour qu'il soit aussitôt inscrit dans une série. Ainsi, un résumé succinct du film Stalker, nous permettra de voir plus clair. (Cf. Tableau général du film Stalker. )
Légendes des deux dernières colonnes :
- Flèche vers le bas : ↓ : relation cinémantique ponctuelle
- Flèche à droite : ← : relation cinémantique en chaîne
Plans | Titre séquence | Objet | Position | ↓ | → | |
---|---|---|---|---|---|---|
Plans 1 - 4 |
I - Prologue | Chute d'un météorite | → | |||
Le Bar | Le Professeur | Néon | Plan 3 | → | ||
Bonnet | Plan 3 | ↓ | ||||
Sac | Plans 3 - 125 |
→ | ||||
Plans 5 - 13 |
I - 1. Appartement | Le Stalker | Plateau | Plan 6 | → | |
Ampoule | Plan 9 | ↓ | ||||
Chauffe-eau | Plan 9 | ↓ | ||||
Serviette | Plan 12 | ↓ | ||||
Plans 14 - 17 |
I - 2. 1. Bar 2 | L'Écrivain | Chapeau | Plan 14 | → | |
Trébuchement I | Plan 15 | ↓ | ||||
Plans 18 - 42 |
I - 2. 2. Course-poursuite | Barrière | Plan 35 | ↓ | ||
I - 2. 3. | Sac à dos Bombe |
Plans 3 - 125 |
→ | |||
Plans 43 - 51 |
II - « L'Avant-Zone » |
Bandelettes lestées | Plan 48 | → | ||
Anneau | Plan 48 | ↓ | ||||
Animaux | Plans 44, 97, 131, 141. |
↓ | → | |||
Poteau | Plan 49 | ↓ | ||||
Bande-son | → | → | ||||
Plans 52 - 131 |
III - « La Zone » | |||||
III - 1. | Le danger | Danger verbale | Plan 61 | ↓ | ||
III - 2. | Le trébuchement du Prof. | Trébuchement II | Plans 69 et 74 |
→ | ||
III - 3. | Les travellings | Danger social | Plans 73 - 89 |
→ | ||
III - 4. | L'ordalie du Tunnel-hachoir | Allumettes | Plans 96-97 |
→ | ||
III - 5. | Le Bunker | Pierre/Puits | Plans 111-118 |
→ | ||
Plans 131 - 144 |
IV - « L'Après-Zone » |
Chien noir | Plan 141 | ↓ | ||
Trois verres | Plan 144 |
Soulignons d'abord que les indices qui correspondent à chacun des trois personnages correspondent plus ou moins à leurs fonctions : le Professeur plie son bonnet dans la poche, comme s'il pliait ses idées (la bombe) dans un sac à dos ; l'Écrivain perd son chapeau et le remplacera plus tard par une couronne, qui représente une espèce d'ouverture spirituelle ; enfin, la plupart des indices dans l'appartement du Stalker ont pour dénominateur commun l'eau : le verre comme contenant du liquide fuyant, le chauffe-eau agent d'ébullition, la salive substitut du liquide intérieur, du liquide intime, la serviette comme agent nettoyant, absorbant. La redondance de cet élément primordial donne au film un caractère organique d'humidité, placentaire, comme une invitation au voyage. Ce caractère s'associe avec les nœuds des écrous, qui annoncent par prolongation la vie marine et la navigation. Comme le dira le Stalker au plan 51, au moment de quitter l'avant-Zone, pour entrer enfin dans la Zone proprement dite : "Chaque fois, j'indiquerai la direction. (…) Le premier point de repère est ce dernier poteau." Ici, ils (les protagonistes) larguent les amarres.
La forme cinémantique du film
Le fond cinémantique du film
Liens spécifiques du film
Stalker (Fiche technique et aspects extra-filmiques)
Le départ pour la « Zone » : Description, composition et situation (Plans 3 – 42)
- B. Les pèlerins de la « Zone »
- 1. Le Professeur : Le néon clignotant (Plan 3) - Sac I (Plans 3 et 37)
- 2. Le Stalker : Gîte du guide : Le plateau vibrant (Plan 6) - Feu - L’ampoule implosante (Plan 9) - La serviette en chute (Plan 12)
- 3. L’Écrivain : Le chapeau sur le capot (Plan 14) - Trébuchement I (Plan 15) - Barrière (Plan 22)
- 1. Le Professeur : Le néon clignotant (Plan 3) - Sac I (Plans 3 et 37)
« L’Avant-Zone » : Disposition, citation et coloration (Plans 43 – 50 )
- 1. La question de la dénomination - Animalisme du Stalker et de la « Zone »
- 2. La figure des bandelettes lestées par des écrous - Anneau
- 3. La bande-son ou le son de la bande
- 4. Première manifestation de la « Zone » : Une partie d’un poteau en chute (Plan 49)
« La Zone » : Solutions, inspirations et convictions (Plans 51 -131)
- Les dangers de la « Zone » : Puits (Plans 68 et 116b)
- Le trébuchement du Professeur : Trébuchement II (Plan 69)
- Le Chien de la « Zone » : Le chien noir (1ère apparition : Plan 79) - Rêve du Stalker (Plan 83)
- Les Travellings sur les objets : Main du Stalker (Plan 89)
- L’ordalie du Tunnel-Hachoir (Plan 96)
- Le Bunker : Corbeau (apparition – disparition) (Plan 112)
- La Couronne de l’Écrivain (Plan 120)
- « La Chambre des Désirs » (Plans 121 - 131) – Sac II (bombe) (Plan 125) – Le second trébuchement de l’ Écrivain (III)(Plan 130)
« L’Après-Zone » : Position, direction et orientation (Plans 131 -144)
- Le prodige de la petite fille, Ouistiti : Chien noir et lait blanc (Plans 141 a et b) - Le verre en chute (Télékinésie) (144)
Conclusion (provisoire) :
Notes et références
- ↑ "Le physicien" dans le film s'appelle "Le professeur", nous n'avons pas modifié le texte.
- ↑ Plaquette présentation du film, Film de ma vie, Editions FNAC, 1979.
- ↑ Toutes les traductions proviennent du dictionnaire bilingue Harrap's Shorter.
- ↑ Deux substantifs (s.) et un verbe (v.) : a- "Stalk" : (s.) 1. Démarche fière. 2. Chasse à l'approche. b- "Stalk" : 1. (v. intransitive.) "To stalk", "marcher d'un pas majestueux, marcher à grand pas." 2. (v. transitif.) "Traquer (la bête) à l'approche. Chasser à l'approche", "Deer-stalking" : 1. Chasseur de cerf ; 2. Chapeau de chasse. "Stalking-horse" 1. Cheval d'abri ; 2. Prétexte, masque. c- Stalk : (s.) 1. Tige (de plante) ; queue (de fruit) trognon (de chou) ; 2. Pied (de verre à vin).
- ↑ Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 114.
- ↑ Arcadi et Boris Strougatski, Pique-nique au bord du chemin. Titre original : Piknik na Obotchine. Traduit en français par Sveltana Delmotte, Editions Denoël, 1981. Paru pour la première fois dans la revue soviétique Avrora, n° 7, 8, 9, 1972.
- ↑ Dans le cadre de scénarios et de projets non réalisés : sur Dostoïevski (1970) ; de Dostoïevski : L'Adolescent (1970), L'Idiot (1973), Crime et Châtiment (1978), Le double (1980).
- ↑ Ce qui était pertinent à l'époque, le milieu du XIXème siècle. Ainsi les instants dramatiques d'un héros deviennent "l'histoire du livre". Il en va ainsi chez Dostoïevski (1821-1881) dans l'Idiot (1868), Crime et châtiment (1865), Les Frères Karamazov, Les Possédés. Jacques Gerstenkorn et Sylvie Strudel écrivent à ce propos que : (…) "(Le Stalker) se rattache en droite ligne à ces fameuses figures christiques qui illuminent l'univers romanesque de Dostoïevski." Cf. "Stalker, La Quête et la foi, ou Le dernier souffle de l'esprit" , Article paru dans, Etudes cinématographiques, op. cit., p. 82.
- ↑ "A l'origine, dans le livre des Strougatski, le Stalker est un jeune homme, il s'appelle Redrick Shouhart. Le livre commence quand il avait 23 ans.
Titre complet du 1er chapitre : Redrick Souhart, 23 ans, Célibataire, préparateur de la Filiale Harmontoise de l'Institut International des Cultures Extra-terrestres.
2ème chapitre : R. S. 28 ans, marié, sans profession.
3ème chapitre : Richard Nounane, 51 ans, représentant des Fournisseurs de l'Equipement Electronique auprès de la Filiale Harmontoise de l'I.I.C.E.
4ème chapitre : R.S. 31 ans. - ↑ Filip Ermach : Président du Goskino de 1972-1986.
- ↑ Nikolaï Sizov : Nouveau directeur du studio Mosfilm, depuis novembre 1970. Il a les droits du vice-président du Goskino (Comité d'état pour le cinéma, son président a rang de ministre), contrôle la production la distribution et l'exploitation des films en URSS.
- ↑ ETO : Unité de production expérimentale à Mosfilm.
- ↑ Isfara : Ville d'Ouzbékistan, où devait être filmée la Zone ; le tournage a eu lieu finalement en Estonie.
- ↑ Finalement, c'est Andreï Tarkovski lui-même qui fera le décor.
- ↑ Il a en effet ses qualités dans le livre des Strougatski.
- ↑ La Recherche du Temps Perdu, tome 3, Le côté Guermantes, 1ère partie, p. 139.
- ↑ Soulignons au passage le changement de registre du statut de l'objet d'une plume dans Nostalghia, nous passons à un météorite. Nous allons constater comment cet "objet" va dessiner toute la physionomie du film.
- ↑ Certes, comme le souligne M. Dominique Avron, à titre personnel, il peut y avoir un lapsus à propos du caractère catalogique, dans lequel il fait la distinction entre un "objet humain" (perdus, jetés, etc.) et des "objets non-humains" (météorite). En fait cette question a été abordée dans le Mémoire de D.E.A. (op. cit.) Elle concerne "le propriétaire d'un objet" (soit il est personnel, soit il appartient à un tiers). Dans tous les cas, ce qui compte, c'est "l'émanation" de l'objet sur l'humain.
- ↑ Cf. J. Mitry, op. cit., tome 1, p. 84.
- ↑ Le découpage des plans du film repose sur la revue Stalker, L'Avant-Scène Cinéma, décembre 1993, N° 427.
- ↑ Ibid, p. 14.
- ↑ C'est une autre question du film : est-ce un bonheur ou un malheur ? Nous aurons une autre indication à ce sujet, au plan 48 : Le Professeur : "Finalement en a conclu que ce météorite, (…) n'en était pas tout à fait un, (…) Et pour commencer, on a posé le fil de fer barbelé…
- ↑ Yves-Marie Dumontier, Stalker, une introduction à une approche géopolitique du cinéma, mémoire de D.E.A. Cinéma, Paris III, 1999.
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 10.
- ↑ Il n'est pas faux non plus de dire que la plupart des films d'Andreï Tarkovski s'engagent dans une voie biblique. Toutefois "l'aspect religieux" est principalement axé dans sa vertu de conduire l'homme dans une ascension sacralisante. Il ne s'agit pas de délivrer un "message" religieux (comme une doctrine), mais d'engager l'homme dans une réconciliation avec la "nature".
- ↑ Nous rappelons que le décor a été exécuté par Andreï Tarkovski (et de A. Merkoulov), ce qui donne à ce film un caractère supplémentaire du fait de l'intervention directe de l'auteur.
- ↑ Une enfant "Ouistiti", qui est la fille du Stalker, ouvre et clôt le film. Elle a, quand elle pense, un pouvoir télékinésique : elle peut déplacer les objets à distance.
- ↑ Jean Mitry, Esthétique et psychologie du cinéma, Editions universitaires, 1963, tome 1, p. 307. La question est souvent analysée par J. Mitry. Voir tome 1 : (…) "La composition filmique suppose et implique nécessairement deux plans compositionnels : la composition dramatique (ou du "réel" représenté)… ; et la composition esthétique ou plastique… " pp. 171-172 ; "Dramatisation de la peinture", pp. 255-256 ; "Le temps dramatique", §. 43. Temps et espace en musique, pp. 307-311 ; 376. Tome 2 : Section VI, Temps et espace du drame : Chapitre 14, En quête d'une dramaturgie, pp. 281-368 ; Chapitre 15, Le fonds et la forme, §. 77. Dramaturgie d'un film, pp. 385-405.
- ↑ Op. cit., tome 2, p. 303.
- ↑ Op. cit., tome 2, p. 308.
- ↑ Cinéma, psychanalyse et politique, op. cit., p. 14.
- ↑ Article Gérard Pangon, "Un film du doute sous le signe de la trinité", Etudes cinématographiques, Andreï Tarkovski, op. cit., p. 105.
- ↑ Andreï Tarkovski, Stalker, L'Avant-Scène Cinéma, op. cit., p. 14.
- ↑ Ibid, p. 14.
- ↑ G. Pangon : […] " Le signe de la Croix est donc là…", op. cit., p.106.
- ↑ Une allusion au tremblement de terre que nous avons évoqué précédemment ?
- ↑ "Le cosmomorphisme, c'est-à-dire une tendance à charger l'homme de présence cosmique." op. cit., p. 77.
- ↑ Ibid, p. 14.
- ↑ Cette idée ou ce couple feu/lumière est proposé dans le 1er épisode du Miroir, « Le Feu au Fenil» avec le verre de la lampe à pétrole et le feu au fenil. Ici, les rapports ne sont pas de la même envergure, puisque la vie familiale est entre parenthèses dans Stalker (disposé au début et à la fin du film), tandis que dans Le Miroir la famille est le centre du film. C'est aussi d'autre part, un cas de "résonance latéral".
- ↑ Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit.,p. 1637.
- ↑ Cf. J. Mitry, op. cit., tome 2, p. 112 ; 309. G. Deleuze, op. cit.,tome 1, p. 95. F. Cesarman, op. cit.,p. 193.
- ↑ Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit.,p. 99 : le 4 février 1974.
- ↑ Ibid. p. 98 : le 3 février 1974.
- ↑ Ibid. p.123 : le 3 juin 1975. Ce point est développé dans Nostalghia. Cf. Cahier Journal, 1977 et "L'importance du premier plan d'un film". Par ailleurs, "une idée directrice" a toujours pour base une certaine "réalité tangible" issue d'une certaine vision de l'humanité.
- ↑ "La boule d'or", dans le livre des Strougatski. Op. cit.
- ↑ C'est un point de vue comparable à Léon Tolstoï, notamment La Résurrection.
- ↑ Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 168 : le 23 décembre 1978.
- ↑ Cf. J. Donner, op. cit., p. 19.
- ↑ "Le monde est désespérément ennuyeux…(il) est régi par des lois de plomb… Il n'y a pas de triangle de Bermudes. Il y a un triangle ABC qui est égal au triangle A'B'C'. Ressentez-vous l'ennui mortel que ça implique ? Au Moyen-Age, vivre était intéressant. Dans chaque maison – un lutin. … Dans chaque église-Dieu. Les gens étaient jeunes. A présent un homme sur quatre est un vieux. Quel ennui…" La dame lui dit alors : "Vous disiez vous-même que la zone…est l'œuvre d'une super-civilisation." L'Écrivain répond : "Là-bas aussi il y a l'ennui… Et des lois et des triangles… Mais plus de lutins, et aucune trace de Dieu."
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 207.
- ↑ Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit., p. 334.
- ↑ Comme le manteau du Poète dans Nostalghia, le chapeau de l'Ecrivain est l'agent de liaison (indirecte) dans la dynamique (et thématique) de passage.
- ↑ Nous pouvons aussi imaginer que la réplique du Stalker sort de la bouche d'Andreï Tarkovski lui-même : allusion à son "exil" forcé.
- ↑ La barrière est une figure centrale chez Andreï Tarkovski, nous la trouvons dans Le Miroir, notamment dans les premiers plans, quand Natalia est assise sur une clôture. Nous la trouvons également dans Andreï Roublev.
- ↑ Avant-Scène cinéma, Stalker, p. 21.
- ↑ Nous rencontrons un autre exemple de variation de lumière (progressive) dans Le Miroir, aux plans 83 – 87.
- ↑ Mathieu 27. 33.
- ↑ Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 99 : le 4 février 1974.
- ↑ Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 146 : 14 décembre 1976.
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, Editions Robert Laffont, (1969) 1982 pp. 49 sq.
- ↑ Autre exemple : le flacon d'alcool vidait par le Stalker.
- ↑ Gerstenkorn et Strudel remarquent, à juste titre, que le point de chute de l'écrou (herbe, métal, sable, etc.) (…) "constituent un excellent indicateur matériel de la disposition spirituelle du personnage qui le lance." "La Quête et la Foi" ou "Le Dernier Souffle de l'Esprit." Cf. Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques, 1983, pp. 92 et 102.
- ↑ Comme l'entortillement du fil de téléphone dans Le Miroir, quand Ignat parle à son père.
- ↑ Comme la corde dans La Corde, le film d'Alfred Hitchcock, dans le fait qu'elle soit en partie visible.
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit., p. 668.
- ↑ Voir également, le nœud "signe de vie" chez les égyptiens, ou encore le mythe du nœud gordien.
- ↑ Mircea Eliade, Images et Symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux., Editions Gallimard, (1952), 1980, p. 145.
- ↑ Arcadi et Boris Strougaski, Pique-nique au bord du chemin, Titre original : Piknik na Obotchine. Traduit en français par Sveltana Delmotte, Éditions Denoël, 1981. Paru pour la première fois dans la revue soviétique Avrora, n° 7, 8, 9, 1972, pp. 34-35.
- ↑ C'est ce qu'il voulait, contrairement à Solaris dans lequel les références à la science-fiction sont évidentes.
- ↑ Cf. J. Mitry, tome 2, Esthétique et Psychologie du cinéma, 2 volumes, P.U.F. 1963 et 1965, aspects du dialogue, p. 99 ; structure du dialogue, p. 101. Op. cit.
- ↑ Cf. Gerstenkorn et Strudel, (…) "le décor de la zone n'est rien d'autre, en définitive, que la projection extérieur de leur monde intérieur." "La Quête et la Foi" ou "Le Dernier Souffle de l'Esprit." Cf. Andreï Tarkovski, Etudes Cinématographiques, 1983, p. 91.
- ↑ Cf. Gestenkorn et Strudel, op. cit., p. 97. J. Mitry, op. cit., tome 2, "La Parole et le son", pp. 87-176.
- ↑ Andreï Tarkovski, Dossier Positif-Rivage, op. cit.
- ↑ Éloïse Mozzani, Le livre des Superstitions, op. cit., p. 1728. Par ailleurs, cf., J. Donner, dans La Nuit des forains (1953) Frost (le clown) dans l'eau qui trébuche devant Alma et les officiers. Ces derniers ont défiés Alma de se baigner nue avec eux. Op. cit., p. 49.
- ↑ À la quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers eux, marchant sur la mer. Quand les disciples le virent marcher sur la mer, ils furent troublés, et dirent : C'est un fantôme! Et, dans leur frayeur, ils poussèrent des cris. Jésus leur dit aussitôt : Rassurez-vous, c'est moi; n'ayez pas peur ! Pierre lui répondit : Seigneur, si c'est toi, ordonne que j'aille vers toi sur les eaux. Et il dit : Viens ! Pierre sortit de la barque, et marcha sur les eaux, pour aller vers Jésus. Mais, voyant que le vent était fort, il eut peur; et, comme il commençait à enfoncer, il s'écria: Seigneur, sauve-moi ! Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Et ils montèrent dans la barque, et le vent cessa. Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant Jésus, et dirent : Tu es véritablement le Fils de Dieu. » — Traduction d'après la Bible Louis Segond, chapitre 14, versets 22 à 33. (Source : Wikipédia.)
- ↑ La révélation faite au prophète Daniel. Dans le Livre de Daniel, Balthazar, le dernier roi de Babylone, assiégé par Cyrus dans sa capitale, se livre à une orgie avec ses courtisans ; par une forfanterie d'impiété, il fait servir sur les tables les vases sacrés que Nabuchodonosor avait autrefois enlevés au temple de Jérusalem. Cette profanation à peine commise, le monarque voit avec épouvante une main qui trace sur la muraille, en traits de flamme, ces mots mystérieux : «Mane, Thecel, Phares » («Mené, Teqel et Parsîn» en hébreux soit « compté, pesé, divisé ») que le prophète Daniel, consulté, interprète ainsi : « Tes jours sont comptés ; tu as été trouvé trop léger dans la balance ; ton royaume sera partagé ». Dans la même nuit, en effet, la ville est prise. Balthazar est mis à mort et la Babylonie partagée entre les Perses et les Mèdes. (Source : www.akadem.org)
- ↑ Comme le seront les plans de documentaires dans Le Miroir.
- ↑ Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé, op. cit., p. 64.
- ↑ Le Stalker : "Je n'ai rien choisi, c'est vous-même !"
- L'Écrivain : "Moi ? J'ai choisi entre deux allumettes longues !" - ↑ Dictionnaire Hachette. Cf. Sur le sujet :
Eschallier Laurent, Le Jeu pathologique, de la passion à la dépendance, thèse en médecine (psychiatrie), sous la direction d'André Gisselmann, université de Dijon 2000.
Fujita Tomohisa, Etude sur l'histoire de l'Ordalie au Moyen-âge : Croyances et pratiques. Thèse de doctorat en histoire, sous la direction d'Alain Derville, Université de Lille, 1992.
Glotz G., L'Ordalie dans la Grèce primitive.
Limouzin Anne, Des avatars de l'ordalie : A propos d'un cas familial, thèse de médecine (psychiatrie), sous la direction de Jean-Yves Guiroy, université de Tours, 1989.
Schuhl P. M., , Essai sur la formation de la pensée grecque, Paris, 1931. - ↑ Raymond Bloch, La divination dans l'Antiquité , P.U.F. 1984, p. 14sq.
- ↑ L. Lévy-Bruhl, La mentalité primitive, Paris, 1922, p. 125.
- ↑ Krysztof Rogulski, "Stalker, les voix des ténèbres", L'Avant-Scène Cinéma, N° 427, décembre 1993, p. 45.
- ↑ Arcadi et Boris Strougatski, Pique-nique au bord du chemin, op. cit., pp. 34-35.
- ↑ Pour sa part, Gérard Pangon accorde au sol ondulé de bunker, (…) "un relief de type intra-utérin. Ce qui renvoie à la notion de renaissance spirituelle." op. cit., p. 107.
- ↑ Nous ne verrons qu'un seul squelette devant "la Chambre des Désirs" : est-ce son vœu de mourir ?
- ↑ L'inverse est aussi vrai. Pour cette raison, et d'autres encore, le début d'un film est toujours très important.
- ↑ Une de nos premières préoccupations serait de mettre en évidence les différents registres cinémantiques.
- ↑ Cf. G. Bachelard, L'Intuition de l'instant, (…) "Or, toute évolution, dans la proportion où elle est décisive, est ponctuée par des instants créateurs." Editions Stock, Paris, (1931) 1992, p. 18.
- ↑ C. S. Peirce écrit (...) "En général, nous pouvons dire que les significations sont inépuisables", op. cit.,p. 98.