Nostalghia

De Cinémancie
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Nostalghia, Plan 1. Le prologue.

Aspects techniques du film

Nostalghia : 1983.
Titre pressenti : Le Voyage en Italie.
Réalisation : Andreï Tarkovski.
Italie. 130 minutes. (Version vidéo 120 minutes.)
Production : RAI Rete 2/Sovinfilm.
Décors : Andrea Grisanti.
Costumes : Lina Nerli Taviani.
Montage : Amedeo Salfa et Erminia Marani.
Scénario : Andreï Tarkovski et Tonino Guerra.
Directeur de production : F. Casati.
Assistants réalisateurs : Norman Mozzato et Larissa Tarkovskaïa.
Images : Guiseppe Lanci.
Musique : Debussy, Verdi, Wagner. Son : R. Ugolinelli.

Acteurs :

Oleg Iankovski ( Gortchakov, le poète.)
Domiziana Giordano (Eugenia, la traductrice.)
Erland Josephson (Domenico, le fou.)
Patrizia Terreno (La femme de Gortchakov.)
Laura de Marchi (La femme à la serviette.)
Delia Boccardo (La femme de Domenico.)
Milena Vikovic (L'employée communale.)
Alberto Canepa (Le paysan.)


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Aspects extra-filmiques

Le film Nostalghia est le fruit d'une grande maturation de la part de son auteur, dans son Cahier Journal, il écrit : (…) « Un poète russe, Gortchakov, est sur les traces d'un compatriote compositeur qui a séjourné en Italie au XVIIIème siècle, Maxime Beriozovski. [1] Aidé d'une traductrice, Eugenia, il parcourt le pays, découvre la chapelle où Piero della Francesca a peint la Madone de l'Enfantement, (…) et une piscine d'eau chaude dédiée à sainte Catherine. Gortchakov rencontre là un illuminé, Domenico, qui vit reclus dans sa maison. Celui-ci cherche à sauver le monde du matérialisme où il se complaît. Avant de s'immoler par le feu, il confie à Gortchakov une dernière tâche : traverser la piscine, vidée de son eau, avec une bougie à la main. Gortchakov y parvient, mais y perd la vie.» [2]

De plus, Tarkovski collabore avec le scénariste de Michelangelo Antonioni, Tonino Guerra. Ce dernier est marié à une Russe, Lora Iablotchkina. C'est le témoignage d'une affinité pour la Russie. De plus, le projet du film date de plusieurs années (1976), sept ans avant la sortie de la version définitive. [3] Nous constatons ainsi qu'Andreï Tarkovski procède par accumulation successive : il a une idée générale, [4] il la développe au fur et à mesure. Il ajoute d'autres idées qui, au départ n'ont aucun lien entre elles. Le film acquiert de la sorte une épaisseur unique et significative, pour ne pas dire exceptionnelle. [5] Ainsi, la première allusion au film date de :


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1976

Le 16 mai : (Parmi différentes idées) (…) « Un étranger loin de chez lui, qui provoque un événement pour ne pas sentir sa solitude et son inutilité.» C'est la première idée du film. [6] Mais les autorités soviétiques vont poser de grandes difficultés à Andreï Tarkovski. Elles sont très hostiles aux «projets italiens» du réalisateur, puisque alors, en réalisant son film en Italie, il serait «incontrôlable». Nous citons quelques exemples qui illustrent l'inquiétude du réalisateur, qui par ailleurs, exprime de fait des «caractères cinémantiques» :

Le 30 juillet : (…) « Je dois me rendre aujourd'hui, à un rendez-vous avec Sizov [7] et Ermach [8] à propos de l'Italie. Ils vont m'embobiner pour que je refuse l'invitation de Cristaldi. (…) Si j'avais insisté, je serais allé à l'encontre des «intérêts du pays». Ils m'ont eu. » (C. J. p.138.)

Le 5 août : (…) « Seul Ermach était contre mon voyage en Italie en septembre, alors que tous les autres (…) étaient pour» ! (C. J. p.140.)

Ermach (voir note bas de page) est le nom à retenir. Il jouera un rôle important dans l'exil définitif d'Andreï Tarkovski en 1984, d'abord en Italie, ensuite en France. Ermach témoignait pour les travaux d'Andreï Tarkovski d'une inquiétante hostilité qui ira croissante, depuis Andreï Roublev.


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1977

C'est une année sombre dans la vie de Tarkovski. C'est l'année des «tournages ratés" de son cinquième film, Stalker. Le 21 juillet, il ajoute une autre idée : (…) « Un livre : un sujet fantastique avec, en parallèle, une action sur terre et une autre quelque part ailleurs. Contraste. Non point analogie, mais contraste." C'est en fait « l'histoire du film» Nostalghia. D'ailleurs le film commence par «l'autre» action «quelque part ailleurs».


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1981

Le 13 août : (…) « Je ne pense qu'aux problèmes italiens. (…) Je me demande si je peux me souvenir à nouveau du plan du scénario de Nostalghia ? 1. Madonna del Parto ; 2. le hall de l'hôtel Palma, souvenirs et «traduction» ; 3. une chambre sans fenêtres. Eugenia. Le puits. (…). Le rêve.» (C. J. p.173.)

L'évocation du plan du scénario est d'un intérêt essentiel. En effet, nous assistons là à la genèse lente et progressive d'un processus cinématographique. Cela démontre que la mise en marche de l'élaboration filmique est longue, presque un an et demi de gestation. Le cahier journal s'arrête provisoirement, le 4 mai 1982, pour ne reprendre que le 5 février 1983. Pendant cette période il a donc effectué le tournage du film. D'autre part, Andreï Tarkovski vise (…) «la vérité» : « Foi et sincérité dans la «conversation" avec le spectateur futur – tel est l'unique critère pour ces relations, et il ne peut y en avoir d'autres.» [9] Pour lui, cette vérité passe d'une part par un soin particulier dans la construction de l'image, et de ses extensions : le choix des «objets». D'autre part, cette vérité passe aussi par le discours proprement dit : la rhétorique. Mais, comme le souligne à juste titre Paul Ricoeur : (…) « il y eut rhétorique, parce qu'il y eut éloquence, éloquence publique. (…) La parole fut une arme destinée à influencer le peuple, devant le tribunal, dans l'assemblée publique. (…) la rhétorique est ouvrière (maîtresse) de persuasion.» [10] Toutefois, il faut ajouter que Platon, non sans raison, condamnait la rhétorique, car […] « il est toujours possible que l'art de « Bien Dire» s'affranchisse du souci de «Dire Vrai». [11] Or, c'est à partir de là que le cinéma d'Andreï Tarkovski acquiert tout son potentiel poétique, dans ce fait concret, à savoir que «la rhétorique» (le discours parlé) peut très bien «bien dire», mais non «dire vrai». En revanche «l'image» ne peut que «dire vrai». Et c'est dans cette articulation que s'effectue la quête «ininterrompue» du langage tarkovskien de l'individuel à l'universel.

Par ailleurs, le plan du scénario ce jour là (13 août 1981) n'était pas définitif. Tel qu'il est, il constitue en grande partie la première demi-heure du film (35 plans). Mais dix jours plus tard, le 23 août, Tarkovski mentionne «la visite dans la maison de la fin du monde», la maison du Fou (1ère heure du film, autour de 60 plans.) En conséquence, nous voulons attirer l'attention sur une notion fondamentale dans la création cinématographique, à savoir l'importance accordée au début du film, et l'amorce de son commencement. Nous pensons que c'est là que ce joue «l'avenir d'un film». C'est ici que se met en place l'ensemble des composantes filmiques. Et c'est à partir de ces éléments que le film se développe selon l'idiosyncrasie de chacun. Pour Tarkovski, le «début du film» est encore plus important, puisqu'il ajoute à chacun de ses films un prologue, un avant-propos, une introduction à son propos. Dans ce film, c'est la nostalgie éprouvée par un poète de sa famille et de son pays natal.

Le film est composé de deux actions ou de deux parties inégales, montées parallèlement. La première partie, en couleur, retient la majeure partie du film. C'est le périple du poète Gortchakov accompagné de la traductrice Eugenia en Italie. Le temps dans cette partie est linéaire et homogène. En revanche, la seconde partie est composée d'une série de douze flash-back en noir et blanc, d'une durée variable. [12] Cette partie retient les «souvenirs» de la femme et des enfants du Poète. Ce qui est significatif dans cet agencement, c'est que le premier et le dernier plan du film sont des flash-back. L'œuvre est donc cyclique, le premier plan annonce en quelque sorte le dernier plan. Nous partons d'un point, pour arriver au même point, comme dans Stalker. Mais, contrairement aux prologues d'Andreï Roublev, du Miroir (Le) ou de Stalker, le prologue, ici, est en somme la quête, la résolution, et presque le «but» du film.


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Bilan et perspectives

Nous allons effectuer un bilan sur l'ensemble des questions que nous avons soulevées à propos du film. Tout d'abord, nous constatons que notre « Méthode de l'arbre cinémantique » n'est pas systématique, puisque nous suivons d'abord les propositions et les suggestions des plans du film. Les objets dans un film sont spécifiques, et ils sont interdépendants des structures intimes du film. Ainsi nous développons une figure selon ses exigences ontologiques.

D'un point de vue général, notre objectif principal est avant tout de dévoiler les agents et les agissements cinémantiques dans un film. C'est en quelque sorte saisir les degrés significatifs d'un objet (type de divination), dans un plan déterminé. Mais rien n'est plus fugace et éphémère qu'un signe ou un symbole. En effet, il suffit d'un tout petit changement, d'une altération, d'une transformation du signe pour qu'il devienne tout autre. De plus, la complexité de l'analyse d'un film sous un angle cinémantique provient d'abord du fait que nous avançons constamment sur un «terrain vierge», qui ne cesse d'offrir des aspects et des faits pertinents, soit de l'ordre d'un objet, soit de l'ordre du cadrage et de la présentation de l'objet.

 
Nostalghia, Plan 33. Les longs cheveux tombants de la Traductrice.


Naturellement ces aspects sont «toujours» particuliers, ils ne concernent en général que le film en question. Toutefois, plusieurs aspects particuliers d'un même fait engendrent les prémices d'une découverte, comme par exemple la valeur des cheveux ou du rêve, ou la relation des cheveux dans le rêve, notamment le plan 33. [13] De la sorte, nous pensons nous trouver sur des voies épistémologiques.

Il faut ajouter aussi que le film Nostalghia, cache et soulève un nombre considérable de questions, auxquelles nous n'avons pas pu répondre au fur et à mesure de leur apparition. Cela à la fois au niveau spatial et au niveau temporel. Les deux niveaux obéissent, chacune à leurs manières, d'une part, à la question de la « durée » d'un plan ; et d'autre part, à la question du « rythme » de passage des plans, c'est en fait, la question du montage, [14] G. Bachelard, aurait dit plus précisément dans notre cas, «une rythmanalyse».[15]Toutes ces questions font souvent partie de «plans cinémantiques», à la fois au niveau de leurs fondements et de leurs formations. De plus, nous avons vu qu'en général les plans cinémantiques sont toujours d'une durée très courte (sauf pour les rêves). Ils sont des « moments éclairs » à l'intérieur d'un plan. [16]

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L'importance d'une analyse plan par plan

L'analyse d'un plan à l'intérieur d'une séquence ou d'un épisode indique les «directions» proposées par le cinéaste, mais, elle ne nous rapproche pas de la «destination finale» du film, qui est certes multiple, mais qui mérite de notre côté, qu'on se rapproche davantage. Et nous pensons que cette tentative a lieu, seulement si « l'analyse filmique s'effectue en traversant le film de part en part », du premier plan du film au dernier plan du film. Ce n'est qu'au terme de cette phase analytique que nous sommes en mesure de nous engager dans une analyse soutenue par les propositions des images dans un film. C'est pour cette raison que nous avons soulevé beaucoup de questions, et que nous n'avons pas livré toutes les réponses. Pour comprendre ce dernier point nous devons remonter à l'origine de notre recherche. Nous avons cru au début dans notre « mémoire »,[17] qu'un objet «catalogique (ou cinémantique)» dépend étroitement de son «propriétaire». Il en va ainsi par exemple du lorgnon du médecin du Potemkine, ou de la bouteille de vin du curé d'Audincourt, etc. L'idée est juste jusqu'à un certain point. Cependant il se peut qu'un objet n'appartienne pas à un protagoniste d'un film, et pourtant intervient dans un processus cinémantique qui le concerne. Tel est le cas près de nous, de la plume, du chien noir et blanc, des volets et de la fenêtre, d'un interrupteur, etc. Or, c'est à partir de ce constat et de son approfondissement que nous avons découvert qu'un objet dans une image n'agit pas et n'intervient pas exclusivement sur les principaux protagonistes uniquement. La partie suivante va s'attacher de montrer les relations complexes qui se créent d'une part entre les protagonistes entre eux, et d'autre part, entre les protagonistes et les objets.


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L'importance des protagonistes du film

Dans Nostalghia, les principaux protagonistes sont le Poète Gortchakov (1er personnage), Eugenia la Traductrice (2ème) et Domenico «le Fou» (3ème). Pour la commodité de l'explication, nous distinguons schématiquement une première zone en triangle. (Cf. Figure 1.)


Mais il faut distinguer aussi une seconde zone qui concerne les plans en flash-back, celle des quatre personnages, si importants pour le Poète, et que les autres ne connaissent pas. (Cf. Figure 2.) Mais il reste encore d'autres personnages, qui font un "passage éclair", et qui ont un rôle spécifique dans le film. Chacun à sa manière apporte un élément dans l'édifice filmique. C'est une troisième zone élargie, qui englobe la première zone. Nous citons quelques personnages dans l'ordre de leur apparition :

  • 8ème personnage, le prêtre ;
  • 9ème ", la dame qui ouvre symboliquement le ventre de la vierge (IIème épisode) ;
  • 10ème ", la concierge de l'hôtel ;
  • 11ème ", la dame au chien noir et blanc (IIIème) ;
  • 12ème ", les baigneurs de la piscine sainte Catherine (Vème);
  • 13ème ", la femme du Fou (VIème) ;
  • 14ème ", la petite fille, Angela (IXème) ;
  • 15ème ", le chauffeur de Taxi (Xème).

En somme, nous obtenons la figure générale suivante :


Ainsi, chaque personnage a un rôle relativement important dans la diégèse. Nous ne pouvons pas développer toutes les ramifications (habit, geste, disposition, liaison, etc.) qui se cristallisent à partir de ce constat. Nous voulons juste souligner (démontrer) les étroites liaisons qui coexistent entre les personnages et les protagonistes, indépendamment de leurs volontés. Cela implique qu'à tout moment, n'importe quel personnage (dans n'importe quel film) peut avoir un potentiel de "résonance cinémantique". Où ? Quand ? Et, comment ? Nous verrons cela à fur et à mesure. A présent, nous devons insister sur un autre fait majeur :


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L'importance du premier plan d'un film

Le prologue du film nous livre d'emblée un certain nombre d'indices révélateurs. Ainsi par exemple, le simple fait de descendre une petite pente, nous l'avons dit, est un témoignage direct, qui "projette ou annonce"[18] des faits significatifs. L'action du premier plan de Nostalghia se déroule dans un cadre fixe (puisqu'il est fixe dans l'esprit du Poète [19] - ici, le "plan" est une "image"), et sur trois temps : deux temps brefs et un temps long. Les deux premiers temps sont actifs, c'est d'une part l'introduction progressive des quatre personnages (accompagnés du chien), et d'autre part, la descente de la petite pente que les personnages vont entreprendre. Le troisième temps (long) correspond à l'arrêt des personnages au centre de l'image. Au centre de l'image, nous distinguons "un poteau", il représente en fait, un cinquième "personnage" (ou un "être cher" au Poète) : c'est la terre elle-même ou le pays du Poète, et c'est autour de cet axe que vont pivoter les personnages du prologue. Un axe fiché dans le sol natal, comme une flèche monumentale qui indique la cible du Poète, sa "destinée".

Il reste enfin le cheval blanc et le chien. Ainsi le premier plan ne présente pas seulement quatre personnages, mais sept "êtres chers" au Poète. Car le chien et le cheval vont acquérir un poids croissant dans le film.[20] Tout d'abord ces deux figures ouvrent et ferment le film. Le chien du prologue ira se coucher aux pieds de son maître dans le postlogue.[21] Ce dernier plan est annoncé au plan 31h. Dans les deux plans, 31h et 123 nous avons une illustration de la double valeur symbolique du chien : divinatoire et psychopompe. Quant au cheval blanc, il propose d'une part, une idée de passage, il passe ici d'une forme vivante à une forme "statufiée" ou artistique ; d'autre part, il est en liaison avec le poteau central, qui lui, est en relation avec le plan 3, l'arbre au centre de l'image. En définitive, grâce au premier plan du film, nous obtenons trois équations. (Cf. Tableau 1.)



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L'importance des objets : aspect de miniaturisation/monumentalisation

La figure du manteau du Poète

 
Nostalghia, Plan 119h. Le poète protège la flamme de la bougie avec son manteau.

Les quatre personnages du prologue, particulièrement les trois femmes aux châles noirs, ne ressemblent-elles pas ainsi à la Madone del Prato ?[22] Comme le dira plus tard le Poète au "Fou" : "ma femme est aussi belle que la Madone del Prato". Cet indice annonce encore plus, car au moment de l'accomplissement du mystère de sainte-Catherine, le Poète accomplira à l'identique le geste de la Madone, en écartant d'abord le côté gauche de son manteau (plan 119h), ensuite le côté droit (119g). Nous obtenons la figure qui suit, (Cf. Tableau 2. ) et qui met en évidence les équations et les ramifications du manteau du Poète.[23]


 
Nostalghia, Plan 10b. La sortie triomphante des oiseaux des "entrailles" de la Vierge.

Nous constatons qu'il y a trois moments forts. Le premier c'est l'ouverture symbolique du ventre de la vierge ( Tableau 2 - 3. II. 8 et plan 10b). Le second moment, c'est le changement du manteau ( Tableau 2 - 4 . 2ème manteau : plan 37 et 119h). Nous rappelons que dans le plan 37b nous avons suggéré "l'hypothèse du transfert d'identité". Cette hypothèse acquiert à partir de ce qui précède une part de légitimité. Il reste enfin le troisième moment, celui de l'ouverture alternée du manteau ( 5. Plans 119h et g.) A ce compte là, comment interpréter l'objet manteau ? Qu'est-ce qui caractérise ce fait spécifique, celui d'être en relation avec d'autres figures ? Quel est le terme adéquat qui désigne ce fait ? Le manteau du Poète ne devient-il pas un "objet cinémantique" ? N'est-il pas inclus dans une part significative de la destination finale du Poète ? Ne possède-t-il pas des qualités téléologiques ? [24]Mais le manteau est plus encore, car il est associé à la flamme de la bougie, qui nous renvoie de nouveau à la Madone del Prato (plan 14), les plumes qui viennent s'échouer sur des cierges. Une "image-clé" devient une "image passage". N'atteste-t-elle pas inexorablement de l'accomplissement d'un rite, celui du sacrifice du Poète par l'intermédiaire de son "bush soul", "le Fou"? Nous poursuivons notre raisonnement et nous amplifions les relations du manteau, pour obtenir la figure suivante : (Cf. Tabelau 3.)



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La figure de la plume et de la flaque d’eau

Nous arrivons enfin et indirectement aux deux plans de "la plume" isolés. Il faut constater d'abord que le plan 18 est en noir et blanc (est-ce un rêve ?) et le plan 95 est en couleur. D'autre part, dans les deux plans, la plume tombe dans une flaque d'eau. Ce qui nous conduit à la maison natale du Poète. Nous obtenons donc la suite suivante : (Cf. Tableau 4.)


Nous nous demandons, en fin de compte, si dans les deux plans de la plume, nous ne devons pas accorder plus d'importance à la flaque d'eau qu'à la plume. En effet, les plans de la flaque d'eau proposent une transformation progressive de la "mission du Poète", de son héroïsme, qui vont le faire aboutir à la piscine de Sainte-Catherine. Les plans pertinents d'une flaque d'eau sont les suivants : [25] (Cf. Tableau 5.)


A l'intérieur des plans avec une flaque d'eau, nous rencontrons la figure du lit, et du passage, notamment en 7.2, quand le chien traverse la flaque d'eau pour chercher le bout de bois. C'est une représentation en "miniature" du poteau du prologue. L'aspect de miniaturisation acquiert dans le film une place prépondérante, grâce aussi au paysage miniature dans "la maison de la fin du monde". Mais à partir de là, nous ne devons pas voir les choses à leur taille donnée, car d'autres indices dans le film dévoilent cet aspect original (et finalement novateur) dans le film : comme le cigare du général et la cigarette de la Traductrice, le petit chien noir et blanc et le grand berger allemand, la minuscule lueur de l'interrupteur et le soleil levant derrière la maison du Poète, le petit escalier du parvis de l'église et l'escalier monumental de la place publique à Rome, l'église inondée et la grande cathédrale. Tous ces indices participent de "réactions contraires" concernant d'autres éléments. Il en va ainsi de la plume, de la bougie, des trois bouteilles, du vélo et de la piscine. Ils acquièrent par l'inclusion de cet aspect un effet monumental, grâce auquel nous accédons à une sorte de sacralisation d'une dimension, si l'on ose dire, "ultra-universelle" : d'une part, il y a traversée du cadre spatio-temporel de l'évolution humaine, et d'autre part, il y a tentative de dépassement du cadre territorial du cinéaste.

Cet aspect de "miniaturisation/monumentalisation" prend aussi une valeur dans les propos du prêtre : le "minimum", "attends" ou dans celle du "Fou", avec le mystère de sainte-Catherine, et enfin dans la véritable mission héroïque du "Fou" et du poète : "Il ne suffit pas de sauver sa famille, mais le monde entier." En résumé, la flaque d'eau en paraphrasant Gaston Bachelard devient "l'œil de la terre",[26] allusion possible à la voix du "seigneur" dans la cathédrale en ruine.

Il reste enfin d'équation, la maison du Poète qui n'est pas directement [27]annoncée dans le Prologue, mais au bout du IIème épisode, au plan 18. [28] En effet, la figure de la maison dans ce film, propose plusieurs variantes métaphoriques : à la maison natal du Poète, il faut ajouter "la maison de la fin du monde" (VI), la maison brûlée de Milan (III. 21), et surtout la jonction et la transition entre la maison natale (IV. 32-34) et "la chambre sans fenêtre" (IV. 35a et 35b). Au terme de ce passage, le lit est de travers, allusion à la piscine qui sera traversée, et la femme du Poète enceinte, c'est une allusion à la "naissance de l'idée". Par ailleurs, l'aspect de "miniaturisation/monumentalisation"[29] annonce à l'horizon la question du rapport entre le représentable et l'imaginable. C'est un thème central de la cinémancie. En effet, nous considérons avec G. Bachelard que l'imagination est (…) "une puissance majeure de la nature humaine." [30]Mais, comment cette "puissance" prend forme ? A partir de quelles sources elle s'alimente pour prendre toute sa vigueur ? Nous pensons que c'est en partie, grâce à l'aspect de "miniaturisation/monumentalisation" que l'imagination accède à une "puissance". Il faut donc que l'esprit critique (celui qui analyse un film) puisse à tout moment devenir (invariablement) aussi minuscule qu'un grain de sable ou aussi gigantesque qu'une étoile. De la sorte, il n'y a plus d'obstacle qui retient l'élan de l'imagination. Certes, cette attitude court le risque de ne pas être prudente. Mais comme le souligne G. Bachelard : (…) "l'attitude "prudente" n'est-elle pas un refus d'obéir à la dynamique immédiate de l'image."[31]

En résumé, nous constatons d'une part que, la "présence" d'un simple élément (ou objet) provoque et amorce une constellation de points de vue, qu'on ne peut pas négliger. L'adhésion à "l'ordre du film" (de son cosmos) est primordial, prioritaire et indispensable, cela implique un visionnement quasi-permanent de la substance filmique ; et d'autre part, "la combinaison sémantique" sera notre instrument de déchiffrement d'une portion du signe filmique. C'est comme quand on soulève un rocher dans un champ, et qu'on aperçoit une vie inconnue et fourmillante, qui s'organise sous la face cachée du rocher. Si nous creusons sous ce rocher, une autre vie apparaît, et ainsi de suite. Ainsi, chaque déplacement est un nouvel emplacement.


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Liens spécifiques du film

Nostalghia (Fiche technique et aspects extra-filmiques)

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Le Prologue (plans 1 et 2)

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« La Madone del Prato »[32] (Plans 3 – 18)

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« Le hall d’hôtel Palma »(Plans 19 – 26)

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« La Chambre sans fenêtres » (Plans 27 – 36)

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La Piscine de sainte-Catherine (Plans 37 -40)

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« La maison de la fin du monde » (Plans 41 – 60)

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La libération de « la maison de la fin du monde » (Plans 61 -70)

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« L’hôtel Palma », 2ème partie (Plans 71 – 82)

Rêve et présages

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L’église inondée – Pré-figuration et trans-figuration (Plans 83 -96)

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Messages et passages (Plans 97 -121)

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Postlogue (Plans 122 et 123)

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Bilan et perspectives


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Notes et références

  1. Sisnovski dans le film.
  2. Andreï Tarkovski, Cahier Journal 1970-1986, op. cit., p. 467.
  3. L'auteur effectuera trois séjours en 1977-1978 en Italie, après d'énormes difficultés de la part des autorités politiques.
  4. Pour sa part, le cinéaste américain Billy Wilder écrit : (…) « Quatre-vingts pour cent d'un film tiennent dans son écriture. Les vingt pour cent qui restent vont à l'exécution : mettre la caméra au bon endroit et être capable de se payer des bons acteurs dans tous les rôles.» ( Axel Madsen, Billy Wilder, Cinema one, 1969.)
  5. Andreï Tarkovski s'intéressait particulièrement à des «histoires invraisemblables». En voilà une : (…) « Il existe une légende d'après laquelle ici, à Rome, sur la place Saint-Pierre, il y aurait à un certain endroit une porte invisible par laquelle on peut disparaître de ce monde, comme il serait déjà arrivé à beaucoup. Mais trouver ce passage invisible serait extrêmement difficile : il faut pour cela se trouver exactement en face, ou dans une certaine position par rapport à lui… Je ne m'en souviens plus. Mais la légende existe. Norman ( Norman Mozzato : assistant-réalisateur de Nostalghia ) m'a dit qu'il avait fait la proposition d'un scénario sur ce sujet, mais qu'un représentant des hautes sphères catholiques lui avait dit que ce film ne se ferait jamais, parce que le sujet est interdit.» (C. J., op. cit., p. 308.)
  6. Voir André Gardies : (…) « L'acte narratif inaugural consiste en la mise en relation dynamique d'un personnage et d'un espace.» L'espace au cinéma, Editions Méridiens Klincksieck, Paris, 1993, p. 135.
  7. Nikolaï Sizov : Nouveau directeur du studio Mosfilm, depuis novembre 1970. Il a les droits du vice-président du Goskino (Comité d'état pour le cinéma, son président a rang de ministre), contrôle la production la distribution et l'exploitation des films en URSS.
  8. Filip Ermach : Haut fonctionnaire, responsable du cinéma au département de la culture du Comité Centrale du P.C. Il deviendra en 1972, le président du Goskino, et le restera jusqu'en 1986.
  9. Op. cit., p. 274. (20 août 1980)
  10. Paul Ricoeur, La métaphore vive, Editions du Seuil, 1975, p. 14.
  11. Op. cit., p. 15. G. Bachelard écrit, (…) "Le bien dire est un élément du bien vivre." Op. cit., p. 10.
  12. Certains ne dépassent pas un plan de quelques dizaines de secondes, (Plans : 18, 22, 25, 59, 61, 68.) Les autres flash-back varient entre deux et cinq plans, de quelques minutes. (Plans : 33-36, 63-64, 122-123.)
  13. Les longs cheveux «en vague» ne sont-ils pas une représentation directe d'un rêve ? Comme le paysage miniature dans la maison du Fou, l'enchevêtrement des cheveux de la Traductrice dessine «une cascade d'attirance», une image vibrante et pleine d'ondulations, des relations entre le couple formé par la Traductrice et le Poète. Le plan 33 propose aussi «une idée de la distance», même de deux distances. La première «distance» est spatiale, c'est la distance physique qui sépare les deux visages du couple. La seconde «distance» est temporelle : le plan 33 suit le plan 31j, celle du zoom-avant sur une mèche de cheveux blancs du Poète qui suggère une plume.
  14. Cf. J. Mitry, tome 1, IIIème section, Le rythme et le montage, op. cit., pp. 267-412, en particulier, Regards sur le rythme, 287-295 ; Le rythme prosodique, 312-328 ; Rythme et montage, 346-353 ; tome 2, IV section, Rythme et prises de vues mobiles, 7-166, Conclusions sur le rythme : (…) "s'il est évident que le rythme est l'effet d'une activité perceptive qui groupe des durées selon des formes distinctes ou assimilables entre elles, cette activité ne peut se produire que sur un donné qui la permet. (…) le rythme est "corrélatif" à une organisation des choses." p. 166 ; "il n'y a au cinéma que deux temps – long et bref – les relations métriques ne sont pas homologues des relations d'intensité." op. cit., p. 168.
  15. Cf. Poétique de l'espace, op. cit.
  16. Ou des "moments flashs". C'est pour cette raison que dans l'Introduction générale, nous avons soulevé l'idée de savoir si les "plans en insert" ont un grand potentiel cinémantique. Peut-être pas directement dans "la destination", mais certainement dans "le trajet".
  17. Cf. Mémoire D.E.A. Strasbourg 1994, op. cit.,
  18. Les deux verbes projeter et annoncer, n'amorcent-ils pas toujours une certaine interprétation divinatoire ? Ne dessinent-ils pas une certaine alternative téléologique ? Un simple indice provoque toujours une réaction en chaîne, dont il s'agira de saisir et de suivre les enchaînements, comme nous allons le voir au cours de nos pages.
  19. C'est à ce niveau qu'on doit faire attention dans le choix de notre vocabulaire. Le terme "plan" désigne l'ensemble d'une action qui s'est déroulée dans un temps "réel". Plus précisément, un plan nous montre une somme d'actions. En revanche le terme "image", désigne une moment significatif et individuel, qui concerne en général un seul protagoniste ou parfois plusieurs, comme dans le plan 14, "les plumes sur les cierges". Enfin le terme "figure" illustre un objet particulier, à l'intérieur d'un plan (ou d'une image) qui peut se permettre un débordement extra-cinématographique.
  20. Toutes proportions gardées, nous considérons le chien comme étant une figure majeure (Cf. Infra. Note suivante), et le cheval comme une figure mineure avec seulement trois apparitions, contrairement à Andreï Roublev où la situation est inversée.
  21. Soulignons les nombreuses présences d'un chien dans le film. Elles mériteraient une étude particulière, que nous ne pouvons pas effectuer dans le cadre de notre travail. Les apparitions de chien sont les suivants : I. l (Ier épisode, 1er plan.) ; II. Plan 24, le chien noir et blanc ; III. Plan 25, le chien et le bout de bois ; IV. Plan 31h-j, le chien de la salle de bain (relation avec le symbolisme de l'eau, et donc de la flaque d'eau ; V. Plans 37b-39, Zoé près de la piscine ; VI. Plans 46b-60, Zoé dans "la maison de la fin du monde" ; VII. Plan 62; VIII. Plan 81c; X. Plans 112, 114, 117; XI. 122. (dernier plan du film).
  22. Á une nuance près, les trois femmes ont les bras "fermés".
  23. Ils méritent d'être signaler : II. Plans 3 et 5 , première apparition du Poète portant un manteau ; II. Plan 18, le Poète ramasse la plume ; III. Plans 19, 22, 24 ("Le hall de l'hôtel"); IV. Plans 28-31j ("La chambre sans fenêtres"); V. Plans 35a, 37b, changement de manteau, nous le verrons sans interruption jusqu'au plan 60 (V et VI) ; VIII. Plans 70, 71, 76, 77, 80b ; IX. Plans 82, 90b, 96 ; X. Plans 98, 102, 119 ; XI. Plan 122, dernier plan du film.
  24. C'est dans ce sens que nous avons forgé le néologisme, "l'obmancie" pour l'objet cinémantique, et "imancie" pour l'image cinémantique. Mais pour le moment ces deux termes ont une importance relative, nous ne les utiliserons donc pas.
  25. Nous ne mentionnons pas tous les plans concernant l'eau dans le film, notamment la pluie ou quand le Poète boit d'un robinet ou celle des trois bouteilles.
  26. Cf. G. Bachelard, L'eau et les Rêves, op. cit.
  27. La maison est annoncée dans le Prologue indirectement grâce aux quatre personnages.
  28. Les autres plans de la maison du Poète sont les suivants : III. 25 ; VIII. 78, nous sommes dans ce plan à l'intérieur de la maison, le plan des trois rideaux et de la colombe ; VIII. 79-81, maison → soleil → Poète ; XI. 120.
  29. Cf. G. Bachelard, La Poétique de l'Espace, chapitre VII, "La Miniature", et chapitre VIII, "L'immensité intime", op. cit., pp. 140-190. Le phénoménologue écrit : (…) "Les valeurs s'engouffrent dans la miniature. La miniature fait rêver." p. 143 ; (…) "Ainsi le minuscule, porte étroite s'il en est, ouvre un monde. Le détail d'une chose peut être le signe d'un monde nouveau, d'un monde qui comme tous les mondes, contient les attributs de la grandeur." p. 146.
  30. op. cit. p. 16.
  31. op. cit.p. 3.
  32. Les titres des épisodes entre guillemets sont ceux d’Andreï Tarkovski.


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