« Viridiana » : différence entre les versions
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[[Fichier: serpent à deux têtes.jpg|300px|thumb|right|alt= ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme - serpent à deux têtes.''' Comparons l'analogie entre un segment de la ligne du serpent et de la corde accrochée à l'arbre au photogramme 5. | Représentation de Tlaloc. ''' Photogramme - serpent à deux têtes.''' <ref>L'original beaucoup plus petit de ce serpent à deux têtes (aujourd'hui conservé au British Museum) date du XIVe ou du XVe siècle et est fait de bois incrusté d'une mosaïque en turquoise et en coquillage. Le serpent était une des représentations de Tlaloc, dieu aztèque de la pluie, et il aurait été porté en pendentif par un prêtre sacré. Cette pièce faisait probablement partie du trésor envoyé par Moctezuma à Cortès pour tenter de convaincre celui-ci de quitter le Mexique. (Source : Musée Canadien de l'Histoire.) </ref><br/>Comparons l'analogie entre un segment de la ligne du serpent et de la corde accrochée à l'arbre au photogramme 5. ]] | |||
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<span id="ancre_3a">''' Plan<ref>"Ibid"</ref | <span id="ancre_3a">''' Plan 3a '''</span><ref>"Ibid"</ref> : Plan rapproché sur Rita essoufflée. Don Jaime s'approche d'elle. Nous entendons le bruit d'une voiture à cheval qui s'arrête non loin. Rita cesse de sauter et regarde la voiture : «<br/> | ||
- Don Jaime : ''C'est assez pour aujourd’hui, Rita. Elle te plaît, la corde que je t'ai offerte ? '' <br/> | - Don Jaime : ''C'est assez pour aujourd’hui, Rita. Elle te plaît, la corde que je t'ai offerte ? '' <br/> | ||
- Rita : ''On peut mieux sauter parce qu'elle a des poignées. '' (Cf. ''' [[#ancre_vir04|Photogramme 04.]]''' ''00h 03' 18"'')<br/> | - Rita : ''On peut mieux sauter parce qu'elle a des poignées. '' (Cf. ''' [[#ancre_vir04|Photogramme 04.]]''' ''00h 03' 18"'')<br/> | ||
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Une question s'impose : Pourquoi Don Jaime accroche la corde à un arbre ? Est-ce une place ordinaire pour une corde ? Mais, il nous semble qu'avec Buñuel, nous devons passer à un autre registre, ne peut-on pas dire que la corde devient une '''[[Représentation (métaphorique)|représentation métaphorique]]''' du serpent. | Une question s'impose : Pourquoi Don Jaime accroche la corde à un arbre ? Est-ce une place ordinaire pour une corde ? Mais, il nous semble qu'avec Buñuel, nous devons passer à un autre registre, ne peut-on pas dire que la corde devient une '''[[Représentation (métaphorique)|représentation métaphorique]]''' du serpent. | ||
L'argument que nous avançons est d'abord morphologique : la [[ligne]]. En effet, André Virel en voyageant dans le Sud-Cameroun, observe que les pygmées, «''dans leur [[langage]] de chasse, représentent le serpent d'un trait sur le sol. Certains graffitis de l'époque paléolithique n'ont sans doute pas d'autre signification. On peut dire qu'ils ramènent le serpent à son expression première. Il n'est qu'une ligne, mais une ligne vivante ; une abstraction. La ligne n'a ni commencement ni fin ; qu'elle s'anime, et elle devient susceptible de toutes les représentations, de toutes les métamorphoses.'' » <ref> '''Chevalier/Gherrbrant,''' ''Dictionnaire des Symboles,'' ''[[Thèse:Bibliographie#ancre_12|op. cit.]]'' p. 867. </ref> | |||
D'autre part, dans son essai sur les civilisations sud-américaines, Hermann von Keyserling écrit : «''le serpent est un complexe archétypale, lié à la froide, gluante et souterraine nuit des origines. Une unique multiplicité primordiale, qui ne cesse de se détortiller, de disparaître et de renaître. La vie des bas-fonds doit précisément se refléter dans la conscience diurne sous la forme d'un serpent.''» <ref> '''KEYSERLING H. von,''' ''Méditations sud-américaines.'' Traduction de A. Beguin. Paris, 1932, p. 20.</ref> | |||
Ainsi, la corde comme un serpent va se faufiler dans le film pour proposer à chaque apparition une nouvelle charge émotionnelle, en reflétant les couches profondes de la conscience des protagonistes. | Soulignons enfin, que Luis Buñuel (1900 – 1983) poursuivra sa carrière d'abord en Amérique, entre 1933 – 1935, où il travaille pour le Musée d'Art Moderne, ensuite expatrié au Mexique après l’avènement de Franco au pouvoir de 1947 à 1958, c'est sans doute à cette époque qu'il va s'intéresser aux civilisations sud-américaines. Et le premier film qu'il réalise de retour en Europe est justement Viridiana. (Cf. ''' Photogramme – serpent à deux têtes du British Museum.''') | ||
Ainsi, la corde comme un serpent va se faufiler dans le film pour proposer à chaque [[apparition]] une nouvelle charge émotionnelle et significative, en reflétant les couches profondes de la conscience des protagonistes. | |||
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- Ramona : ''Soyez la bienvenue, Mademoiselle. Je suis Ramona, la servante de Don Jaime. '' <br/> | - Ramona : ''Soyez la bienvenue, Mademoiselle. Je suis Ramona, la servante de Don Jaime. '' <br/> | ||
- Viridiana : ''Ah ! Très heureuse. '' <br/> | - Viridiana : ''Ah ! Très heureuse. '' <br/> | ||
- Don Jaime : ''Virdiana ! '' (Elle s'excuse auprès de Ramona et va à la rencontre de son oncle. Les deux personnes s'observent un instant.) » (Cf. ''' [[#ancre_vir07|Photogramme 07.]]'''''00h 03' 47"'') | - Don Jaime : ''Virdiana ! '' (Elle s'excuse auprès de Ramona et va à la rencontre de son oncle. Les deux personnes s'observent un instant.) » (Cf. ''' [[#ancre_vir07|Photogramme 07.]]'''''00h 03' 47"'')<br/> | ||
- Viridiana : ''Oui, mon oncle. Comment allez-vous ? '' <br/> | - Viridiana : ''Oui, mon oncle. Comment allez-vous ? '' <br/> | ||
- Don Jaime : ''Bien, bien. L'autocar a eu de retard, n'est-ce pas ? Comment a été le voyage ? '' <br/> | - Don Jaime : ''Bien, bien. L'autocar a eu de retard, n'est-ce pas ? Comment a été le voyage ? '' <br/> | ||
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[[Fichier: Viridiana6_Bunuel_1ere_rencontre.jpg|400px|thumb|center|alt= ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 7 - Plan 3d.''' Première rencontre de Viridiana et de Don Jaime. | ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 7 - Plan 3d.''' <br/>'''[[Première|Première]]''' rencontre de Viridiana et de Don Jaime. ]] | [[Fichier: Viridiana6_Bunuel_1ere_rencontre.jpg|400px|thumb|center|alt= ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 7 - Plan 3d.''' Première rencontre de Viridiana et de Don Jaime. | ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 7 - Plan 3d.''' <br/>'''[[Première|Première]]''' rencontre de Viridiana et de Don Jaime. ]] | ||
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[[Fichier: Viridiana7_Bunuel_1ere_rencontre_les pieds_00_03_58.jpg|300px|thumb|right|alt= ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 8 - Plan 4a.''' Les pieds de Don Jaime et de Viridiana. | ''Viridiana'' de Luis Buñuel. ''' Photogramme 8 - Plan 4a.''' <br/>Les '''[[Pied|pieds]]''' de Don Jaime et de Viridiana. ]] | |||
* <span id="ancre_4a">'''[[#ancre_vir08| Photogramme 8 – Plan 4a.]] '''</span><ref>"Ibid"</ref> ''00h 03' 58"'' : Plan rapproché sur les '''[[Pied|pieds]]''' de Don Jaime et de Viridiana. Ils bavardent. Nous apercevons dans la voix de Don Jaime l'intérêt qu'il porte à la jeune femme. Un intérêt discutable : « <br/> | |||
- Don Jaime : ''Combien de temps vas-tu rester ? '' <br/> | |||
- Viridiana : ''Très peu, mon oncle. Je n'ai droit qu'à quelques jours. '' <br/> | |||
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- Viridiana : ''Non, je suis venue sur l'ordre de La Supérieure. '' <br/> | |||
- Don Jaime (Don Jaime triste, s'arrête.) : ''Il t'intéressait donc si peu de me voir ? '' <br/> | |||
- Viridiana : ''A dire vrai pas beaucoup. Je ne sais pas mentir. J'ai pour vous du respect et de la reconnaissance parce que matériellement je vous dois tout, mais pour le reste... '' <br/> | |||
- Don Jaime (Avec mélancolie.) : ''Aucune affection... '' <br/> | |||
- Viridiana (Déterminée.) : ''Aucune. '' <br/> | |||
- Don Jaime : ''Tu as raison. La solitude m'a rendu égoïste. Maintenant je regrette que nous ne nous soyons pas vu davantage. Il est trop tard, n'est-ce pas ? '' <br/> | |||
- Viridiana (Très indifférente.) : '' Oui. Il est trop tard.'' (Ils passent sous un grand arbre. Au loin, on distingue les champs abandonnés en friche.) '' Mon oncle, vous avez beaucoup négligé les champs.''<br/> | |||
- Don Jaime : ''Cela fait vingt ans que les herbes ont tout envahi. Dans la maison, sauf au premier étage, les araignées pullulent. Je sors très rarement. '' (Nous entendons une voix d'enfant qui provient de l'arbre.)<br/> | |||
- Voix de Rita : ''C'est vrai. Et quand il sort il me fait sauter... '' (Cf. ''' [[#ancre_vir09|Photogramme 09.]]'''''00h 04' 50"'') (Viridiana est étonnée, elle regarde vers l'arbre.)<br/> | |||
- Don Jaime : ''Viens ici, mon petit [[chien]] ! '' <br/> | |||
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- Viridiana : ''Viens ! '' (Rita disparaît.) <br/> | |||
- Don Jaime : ''Comme tu ressembles à ta tante ! Jusqu'à la démarche ! '' <br/> | |||
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- Don Jaime : '' Tu vois ? Même la voix !'' » | |||
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Version du 1 mai 2015 à 15:27
Aspects techniques du film
- Titre : Viridiana
- Titre original : Viridiana
- Réalisation : Buñuel Luis
- Année de réalisation : 1961
- Pays : Espagne, Mexique
- 90 minutes, noir et blanc
- Langue : Espagnole
- Production :
- Scénario : Buñuel Luis, Alejandro Julio, d'après le roman Halma de Pérez Galdós Benito
- Directeur Photographie : Aguayo José F.
- Décors : Canet Francisco
- Costumes :
- Musique : Pittaluga Pere
- Montage : Buñuel Luis, del Rey Pedro
Principaux acteurs
- Silvia Pinal : Viridiana
- Fernando Rey : Don Jaime, l'oncle de Viridiana, un hidalgo veuf
- Francisco René : Moncho, le domestique de Don Jaime
- Lozano Margarita : Ramona, la servante de Don Jaime
- Teresa Rabal : Rita, la fille de Ramona
- Francisco rabal : Jorge, le fils naturel de Don Jaime
- Victoria Zinny : Lucia, la fiancée de Jorge
Les mendiants :
- Joaquin Roa : Don Ziequel
- Juan Garcia Tienda : le lépreux
- José Manuel Martin : “El Cojo”, le boiteux
- Luis Heradia : “El Poca”
- Sergio Mendizábal : “El Pélón”
- Milagros Thomas : Refugio
- Lola Gaos : Enedina
- Alicia Jorge Barriga : “La Erena”, la naine
- Maruja Isbert : “La Cancionera”, la chanteuse
- Palmira Guerra : “La Jardinera”
Les photogrammes pertinents du film
0h 00’ 00’’ – Plan 1b. L'invitation de Don Jaime
Plan 1b [1] : Plan général d'une cour d'un couvent. Dans un coin de la cour, un groupe de religieuses bavardent. Une autre s'avance vers elles. C'est la mère Supérieure, elle s'adresse à une religieuse du groupe : « Sœur Viridiana ! Une jeune religieuse se détache du groupe et vient vers la Supérieure : Viridiana. (Elle s'incline en signe de respect.) : Ma mère ?
- La Supérieure : Je viens de recevoir une lettre de votre oncle. Il ne pourra assister à la prononciation de vos vœux.
- Viridiana : Très bien, ma mère. (Cf. Photogramme 02.) 00h 01' 55"
- La Supérieure (elle s'étonne de ce manque d'intérêt.) : Vous ne semblez pas en être très affectée. (Toutes deux se sont mises à marcher le long du cloître.)
- Viridiana : Je le connais à peine. Je ne l'ai vu qu'une fois, il y a des années. Je ne me souviens même plus de lui.
- La Supérieure : En tout cas maintenant il vous invite chez lui.
- Viridiana : Je ne veux pas quitter le couvent, ma mère.
- La Supérieure : Je crains que sa santé ne soit bonne. C'est votre seul parent et vous devriez lui faire vos adieux avant de prononcer vos voeux. Vous ne le reverrez sûrement jamais plus.
- Viridiana : Mais pourquoi veut-il me voir ? Il ne s'est jamais occupé de moi.
- La Supérieure : Il a payé vos études, votre entretien, et il vient même d'envoyer votre dot. Cela vous semble-t-il peu ? (Viridiana semble résignée. Elle baisse les yeux. )
- Viridiana : Je souhaiterais ne pas revoir le monde, mais si vous me l'ordonnez.
- La Supérieure : Il reste peu de temps avant le commencement de la retraite. Vous pouvez donc partir dès demain matin. (Elles s'arrêtent et se font face.) Tout est prêt dans votre cellule pour le voyage. Allez vous préparer. Essayez de lui montrer un peu d'affection. »
Fermeture en fondu.
0h 02’ 50’’ – Plans 2 – 4. Viridiana accepte l'invitation – « La Corde – Serpent »
Plan dynamique 1 : les pieds de Rita
- Photogramme 3 – Plan 2. 00h 02' 48" : Plan dynamique. [2] Plan rapproché sur les jambes de la petite Rita qui saute à la corde. Rita est la fille de Ramona, la servante de Don Jaime. Elle joue à la corde avec une grande dextérité. Avec ses pieds, elle fait rapidement, différentes petites figures, elle avance, elle recule. Derrière elle, apparaît Don Jaime. Il suit pendant quelques secondes les jambes de Rita.
Comme nous allons le voir plus loin, il nous semble qu'à travers ce “plan acrobatique”, on trouve réunit des arguments forts du film. Et on peut aller encore plus loin, pour dire que chaque plan d'un film de Buñuel offre des qualités exceptionnelles : il y a souvent une si grande justesse dans la présentation des éléments qui composent le plan, sans parler des magnifiques liaisons entre les plans, que l'artiste effectue avec un grand art. En effet, on peut se demander si le plan 2 n'est pas une réponse au plan 1b, comme le dit l'expression populaire : Viridiana devant la Mère Supérieure « ne sait jamais sur quel pied danser ».
Mais pour revenir sur les arguments du plan 2, il faut distinguer d'abord, la corde à sauter qui aura un rôle actif dans le film. En passant de main en main, la corde relie le film de bout en bout. Ainsi, le film commence par Rita qui saute avec la corde, et il termine par la corde, négligemment suspendu à une poutre (là où elle devrait être), avec l'ombre de la corde qui suggère une corde de potence. Ensuite, les mouvements des sauts de Rita semble avoir des correspondances avec les mouvements de Viridiana, elle avance (devant Don Jaime), elle recule (quand il lui propose de porter les habits de mariés de sa femme défunte), elle va de côté (en acceptant de les porter). Enfin, il y a l'intérêt de Don Jaime au fétichisme du pied comme symbole érotique.
Plan dynamique 2 : les pieds de Rita 2
Plan 3a [4] : Plan rapproché sur Rita essoufflée. Don Jaime s'approche d'elle. Nous entendons le bruit d'une voiture à cheval qui s'arrête non loin. Rita cesse de sauter et regarde la voiture : «
- Don Jaime : C'est assez pour aujourd’hui, Rita. Elle te plaît, la corde que je t'ai offerte ?
- Rita : On peut mieux sauter parce qu'elle a des poignées. (Cf. Photogramme 04. 00h 03' 18")
- Don Jaime : Aller, va jouer. »
- Photogramme 5 – Plan 3b. 00h 03' 22" : Rita court en abandonnant la corde à Don Jaime qui l'accroche à un clou fixé au tronc d'un grand arbre.
Une question s'impose : Pourquoi Don Jaime accroche la corde à un arbre ? Est-ce une place ordinaire pour une corde ? Mais, il nous semble qu'avec Buñuel, nous devons passer à un autre registre, ne peut-on pas dire que la corde devient une représentation métaphorique du serpent.
L'argument que nous avançons est d'abord morphologique : la ligne. En effet, André Virel en voyageant dans le Sud-Cameroun, observe que les pygmées, «dans leur langage de chasse, représentent le serpent d'un trait sur le sol. Certains graffitis de l'époque paléolithique n'ont sans doute pas d'autre signification. On peut dire qu'ils ramènent le serpent à son expression première. Il n'est qu'une ligne, mais une ligne vivante ; une abstraction. La ligne n'a ni commencement ni fin ; qu'elle s'anime, et elle devient susceptible de toutes les représentations, de toutes les métamorphoses. » [5]
D'autre part, dans son essai sur les civilisations sud-américaines, Hermann von Keyserling écrit : «le serpent est un complexe archétypale, lié à la froide, gluante et souterraine nuit des origines. Une unique multiplicité primordiale, qui ne cesse de se détortiller, de disparaître et de renaître. La vie des bas-fonds doit précisément se refléter dans la conscience diurne sous la forme d'un serpent.» [6]
Soulignons enfin, que Luis Buñuel (1900 – 1983) poursuivra sa carrière d'abord en Amérique, entre 1933 – 1935, où il travaille pour le Musée d'Art Moderne, ensuite expatrié au Mexique après l’avènement de Franco au pouvoir de 1947 à 1958, c'est sans doute à cette époque qu'il va s'intéresser aux civilisations sud-américaines. Et le premier film qu'il réalise de retour en Europe est justement Viridiana. (Cf. Photogramme – serpent à deux têtes du British Museum.)
Ainsi, la corde comme un serpent va se faufiler dans le film pour proposer à chaque apparition une nouvelle charge émotionnelle et significative, en reflétant les couches profondes de la conscience des protagonistes.
- Photogramme 6 – Plan 3c. 00h 03' 32" : La voiture à cheval s'arrête devant le perron de la maison. Don Jaime se dirige vers elle. Viridiana descends.
Le cocher sort la petite valise de Viridiana. Ramona apparaît et se dirige vers l'invitée, suivit par Rita qui lui dit : « Bonjour.
- Viridiana : Ça va ?
- Ramona : Soyez la bienvenue, Mademoiselle. Je suis Ramona, la servante de Don Jaime.
- Viridiana : Ah ! Très heureuse.
- Don Jaime : Virdiana ! (Elle s'excuse auprès de Ramona et va à la rencontre de son oncle. Les deux personnes s'observent un instant.) » (Cf. Photogramme 07.00h 03' 47")
- Viridiana : Oui, mon oncle. Comment allez-vous ?
- Don Jaime : Bien, bien. L'autocar a eu de retard, n'est-ce pas ? Comment a été le voyage ?
- Viridiana : Excellent. Quel endroit charmant et calme, mon oncle !
- Don Jaime : Tu vas te croire encore au couvent. »
Le visage de Don Jaime commence à avoir un intérêt croissant à l'égard de sa nièce.
Plan dynamique 3 : les pieds du couple
- Photogramme 8 – Plan 4a. [7] 00h 03' 58" : Plan rapproché sur les pieds de Don Jaime et de Viridiana. Ils bavardent. Nous apercevons dans la voix de Don Jaime l'intérêt qu'il porte à la jeune femme. Un intérêt discutable : «
- Don Jaime : Combien de temps vas-tu rester ?
- Viridiana : Très peu, mon oncle. Je n'ai droit qu'à quelques jours.
- Don Jaime : Cela t'a-t-il été difficile de l'obtenir ?
- Viridiana : Non, je suis venue sur l'ordre de La Supérieure.
- Don Jaime (Don Jaime triste, s'arrête.) : Il t'intéressait donc si peu de me voir ?
- Viridiana : A dire vrai pas beaucoup. Je ne sais pas mentir. J'ai pour vous du respect et de la reconnaissance parce que matériellement je vous dois tout, mais pour le reste...
- Don Jaime (Avec mélancolie.) : Aucune affection...
- Viridiana (Déterminée.) : Aucune.
- Don Jaime : Tu as raison. La solitude m'a rendu égoïste. Maintenant je regrette que nous ne nous soyons pas vu davantage. Il est trop tard, n'est-ce pas ?
- Viridiana (Très indifférente.) : Oui. Il est trop tard. (Ils passent sous un grand arbre. Au loin, on distingue les champs abandonnés en friche.) Mon oncle, vous avez beaucoup négligé les champs.
- Don Jaime : Cela fait vingt ans que les herbes ont tout envahi. Dans la maison, sauf au premier étage, les araignées pullulent. Je sors très rarement. (Nous entendons une voix d'enfant qui provient de l'arbre.)
- Voix de Rita : C'est vrai. Et quand il sort il me fait sauter... (Cf. Photogramme 09.00h 04' 50") (Viridiana est étonnée, elle regarde vers l'arbre.)
- Don Jaime : Viens ici, mon petit chien !
- Viridiana : Qui est-ce ?
- Don Jaime : La fille de Ramona, ma domestique, c'est une sauvageonne.
- Viridiana : Viens ! (Rita disparaît.)
- Don Jaime : Comme tu ressembles à ta tante ! Jusqu'à la démarche !
- Viridiana : Je le sais, mon oncle, vous me l'avez déjà dit.
- Don Jaime : Tu vois ? Même la voix ! »
Liens spécifiques du film
Notes et références
- ↑ Le découpage des plans du film est celui de l'Avant-Scène Cinéma, Numéro 428, janvier 1994.
- ↑ Le Plan dynamique est un plan cinématographique singulier, nous l'avons appelé ainsi, faute d'autre nom. Le plan dynamique ne correspond pas complètement à la notion classique de la profondeur de champ, qui se définit comme : (…) "La profondeur de la zone de netteté… La P.D.C. est plus grande lorsque la focale est plus courte." (Aumont, Marie, Bergala, Vernet, Esthétique du film, op. cit., p. 22.) Le plan dynamique s'effectue en fait de plusieurs façons. Soit le début du plan rapproché (ou gros plan) est fixe, et à ce moment là, l'objet ou la personne s'écarte et laisse entrevoir à l'arrière tout le champ. De plus, il y a soit un accompagnement d'un zoom avant, soit d'un travelling-avant ou latéral, ainsi nous entrons en profondeur dans le champ, comme ce sera le cas dans le plan 6 d'Andreï Roublev. Soit alors à partir d'un plan rapproché (ou gros plan) qui subit un mouvement panoramique de bas en haut ou de haut en bas, de gauche à droite ou de droite à gauche. Lire la suite
- ↑ L'original beaucoup plus petit de ce serpent à deux têtes (aujourd'hui conservé au British Museum) date du XIVe ou du XVe siècle et est fait de bois incrusté d'une mosaïque en turquoise et en coquillage. Le serpent était une des représentations de Tlaloc, dieu aztèque de la pluie, et il aurait été porté en pendentif par un prêtre sacré. Cette pièce faisait probablement partie du trésor envoyé par Moctezuma à Cortès pour tenter de convaincre celui-ci de quitter le Mexique. (Source : Musée Canadien de l'Histoire.)
- ↑ "Ibid"
- ↑ Chevalier/Gherrbrant, Dictionnaire des Symboles, op. cit. p. 867.
- ↑ KEYSERLING H. von, Méditations sud-américaines. Traduction de A. Beguin. Paris, 1932, p. 20.
- ↑ "Ibid"
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